« Le champ de bataille des guerres civiles est l’aspect du corps, et tout l’art de la guerre consiste en sa maltraitance1. »
C’est de corps abîmés que je voudrais parler
De corps au bord d’un abîme de douleur
Qui cherchent toujours à se redresser
Qui inexorablement plient et parfois se rompent
Pas de mise en grève des mots
Il faut qu’ils portent la parole en souffrance
Les mots verrouillés dans les muscles noués
Les larmes trop longtemps contenues
Les yeux secs d’avoir trop souffert
Il faut que ça explose
Pour en finir avec le mépris
Avec les mots creux prononcés
Qui n’ont de vérité qu’un mauvais fard
En la bouche d’un être qui ne sait rien
Rien de la vie et du labeur
Rien de toutes ces larmes
Déposées entre les mains soignantes
De toutes les colères exposées
Perdantes à chaque coup porté
De mains de maître
La poésie ne suit pas le chemin de gloire
La mienne va au pas des manifestations
Elle tient la banderole des mots acerbes
Elle va en longue banderole au devant
Là où l’ignoble déguisé en noir
Derrière son bouclier de cynisme
Fomente tous les mauvais coups
Sur un ton paternaliste
Ma poésie avance écoeurée
Tandis que d’autres en des salons feutrés
Se croyant parvenus au sommet de l’art
S’auto-congratulent et ne disent rien
De ce qu’un peuple endure
Car
Triste sire
Il fallait un peuple
Pour que vous soyez hissé
Sur le trône d’ingratitude
C’est sur les épaules du peuple
Que vous tenez debout
Il n’est pas de mépris suprême
Que vous puissiez proférer
Sans ébranler le siège
Où votre cul morveux
Se prélasse d’indifférence
Certes on me dira
Qu’un printemps des poètes se doit
De parler d’autres frontières
Que celles qui isolent
Maîtres des gueux en barbelés de mépris
Mon printemps à moi a des accents rouges
Il manie le pavé à merveille
Il se souvient de celles et ceux
Qui furent au pied d’un mur
Fusillés sans sommation
Mon printemps est de mémoire
Il ne peut rien oublier
Devant le triste spectacle
De votre visage
Triste sire
Aussi imperméable à toute souffrance
Indifférent à la mort qui guette
Chacune et chacun bien avant
De pouvoir enfin s’étirer
Pour une minute de plaisir
Une minute de plaisir qui ne viendra jamais
À qui se lève tôt et avance usé
(23 mars 2023 — 1 — 15h00)
Xavier Lainé
1 Alexis Jenni, L’art français de la guerre, éditions NRF Gallimard, 2011
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