samedi 1 juin 2024

Pas dire 9

 





Il faut bien l’avouer

Parfois je ne sais pas quoi dire

Ou plutôt

À force de me retenir de dire

Je ne sais plus si mes mots

Auraient encore quelque chose à dire


Il faut bien l’avouer

Vous l’avouer

Je suis parfois devant le spectacle du monde

Écoutant les discours et lisant des livres

Inquiet de ma propre parole

De la résonance qu’elle saurait trouver


Il faut bien l’avouer

C’est une prétention abusive

Que de se mettre à dire

Quand tant et tant ont déjà dit

Ont déjà souligné le gouffre ouvert

Sous nos pas d’humains désormais soumis

À cet étrange monde réduit à être un marché


Il faut bien l’avouer

Je ne revendique aucune place particulière

Juste être parmi ceux qui en sont privés

Celui qui saurait encore dire

Pour ne pas moi aussi plier l’échine

Devant la privatisation de la parole

De la culture réduite à n’apparaître

Qu’avec « l’écrivain » érigé en gourou

Capable d’avoir avis sur tout

Quand l’objectif à travers lui

N’est que de faire vendre des livres


Il faut bien l’avouer

Je ne me reconnais pas dans cette apparence des choses

Je ne me reconnais pas non plus autorité à en critiquer l’aspect

Je ne me reconnais pas

Mais je ne cesse d’écrire depuis des années

Sans que mes mots ne semblent trouver place

Dans ce « marché » où tout se vend

Y compris nos âmes si elles veulent exister


Il me faut bien vous l’avouer

Très souvent je reste sans voix

Comme tant d’autre causant en moi-même

Pesant le pour et le contre d’aligner sur ma page

Des mots qui au fond n’ont rien à dire

Tant la violence extrême qui se déploie partout

L’absence de dénonciation des pouvoirs abusifs

Les heurtent et les inciteraient à

Ne pas dire

Dans une splendide autocensure

Qui laisserait ce monde marcher droit vers le précipice

Laissant sur son chemin la ruine fumante de notre humanité

Vendue comme esclave sur les places financières de la honte



Xavier Lainé

9 mai 2024


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