jeudi 24 novembre 2022

Nous y voilà

 




L’évidence n’est pas toujours perceptible, même si elle saute aux yeux.

Trois années plus tard, des années plus tard, la ville qui se voulait « sans histoire » s’y trouve mêlée comme jamais.

On ne joue pas avec l’extension du domaine de la pauvreté sans risquer de s’y brûler.

Le paradoxe est qu’il nous faut être la proie des flammes pour sentir le roussi et alors réagir par nécessité.

Mais quand le navire prend l’eau de toutes parts, est-il possible de le sauver du naufrage ?


Ma ville s’enfonce, elle glisse sur cette pente qui sidère le pays tout entier tant la violence en devient « bonne gouvernance ».

Elle s’enfonce, selon les statistique officielles, dans un état de pauvreté qui en gangrène toutes les relations sociales.

A la violence systémique, s’opposent trois comportements :

- la soumission, au nom de la fatalité, faute de savoir inventer mieux ;

- la colère symbolique qui se niche dans des comportements addictifs, des violences verbales, des attitudes plus ou moins suicidaires ;

- la colère pure qui conduit un jour ou l’autre au renversement de tous les pouvoirs, avec les yeux rendus aveugles par les souffrances endurées mêlées à l’inquiétude d’une « déchéance sociale » inéluctable.


Ma ville s’enfonce, sous la baguette tragique d’un homme, d’une équipe qui, s’ils ont usé de leur jeunesse pour s’attribuer le pouvoir, n’en proposent pas moins des remèdes éculés dans un système dont tout le monde sent bien qu’il mène notre humanité commune à sa perte.

Nous voici prisonniers d’une logique qui était palpable, dénoncée, annoncée, et comme nous invite à y réfléchir les observations de l’éthologie, lorsqu’un animal est blessé à mort, ou qu’il ne peut se sortir du piège, il n’hésite pas à sacrifier ses enfants, à se sacrifier lui-même.

Les belles âmes et les bien-pensants diront, avec des airs offusqués, que nous ne sommes pas des animaux.

À y regarder de près, il semble bien que, désormais, face au tsunami qui menace de nous submerger, la plupart des « vivants » développent plus d’intelligence que ceux qui se prétendent humains : ils fuient quand les humains ne les ont pas purement et simplement éliminés.


Ma ville s’enfonce sous les coups d’une gestion stupide d’une « pandémie » que tous les scientifiques un peu sérieux ont depuis trois années qualifiée de « syndémie » tant elle mettait en relief toutes les tares d’un système qui persiste à n’enrichir que les un pour cent de la population mondiale cotisant aux fonds des affaires financières.

Ma ville s’enfonce sous les coups d’une conception autocratique de la gestion de la cité.

Ma ville s’enfonce : au moment où certains voient dans la corrida une persistance de notre passé barbare, un homme seul entouré de ses affidés subjugués par sa verve jeunesse, plantent profondément les banderilles dans les échines trop longtemps courbées des acteurs de l’économie locale.


On avait vu comment la priorité fut donnée au commerce mortifère des rois de la finance aux dépends des commerces de proximité.

On a vu, sous les mandats précédents, la ville se structurer en une cité dortoir avec pour toute perspective de vie solitaire la voiture et le supermarché. 

Le nouveau, malgré le masque de la jeunesse ne fait pas mieux : il plante les dernières banderilles dans ce qui reste de vivant dans sa cité.

Ce qu’il cherche ? Une ville bien proprette, avec des avenues tirées au cordeau, une vieille ville vidée de toute vie, sauf à l’ouvrir à la bonne bourgeoisie bien propre sur elle. 

La recette est connue : elle a fait florès depuis les années soixante dix et quatre vingt du siècle dernier dans la plupart des centres villes anciens de Lyon, Marseille, Bordeaux, Paris. 

On paupérise un maximum, puis, au nom de la salubrité, on expulse les pauvres en périphérie pour « coloniser » l’habitat ancien en le nettoyant des traces vivantes de son histoire.

Derrière les façades ripolinées, on ne voit pas la mort économique et sociale d’un monde livré à l’individualisme le plus sauvage.


Nous y sommes, la révolte gronde à juste titre, mais…

Mais quand donc apprendrons-nous à réfléchir collectivement à faire de nos lieux de vie des endroits où nous serions en capacité d’inventer le commun nécessaire à notre survie dans un contexte de bouleversement climatique devenu incontournable.

Il ne s’agit plus de repeindre les façades, mais de regarder en face la tragédie où nous jettent les fervents d’un capitalisme du désastre aux commandes depuis les années soixante dix.

Il s’agit de faire oeuvre d’intelligence commune pour rester, bâtir contre vents et marées, nous donner les moyens de traverser les tragédies prévisibles, déjà là, sous nos yeux, dans la désertion d’un centre ville qui semble amuser les jeunes imbéciles et les vieux cons.

Qu’ils se méfient : nous pourrions bien, sous les pavés, faire surgir la plage de nos soifs de vivre trop longtemps enfouies.


Xavier Lainé


Manosque, 25 novembre 2022


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