mercredi 2 novembre 2022

Sans décrocher la lune 17

 



Photographie : XL-Dans la lune (Luke Jerram/Museum of the moon/Biennale Art & culture d'Aix en Provence 2022)




Je ne sais pas même si elle voyage

La lune

Si elle ne fait que nous tourner autour

Si elle entend les innombrables plaintes

De ces poussières d’humain perdues

Perdues dans l’espace immense

Qui se font la guerre

Qui laissent et parfois même tiennent

La tête sous l’eau des miséreux qui fuient

Chaque jour son lot de noyés

Chaque jour son lot de suicidés

Chaque jour


Ma lune pleure

Elle poursuit sa route

À chaque passage au dessus de ma tête

Depuis si longtemps blanchie par le temps

Elle passe et elle pleure

Je vois

Je vois dans son visage d’argent

Des cratères de tristesse

De nous savoir proies

De si violentes dominations


Parfois elle se tait

Comme je me tais aussi

Fuyant toute compagnie

Pour mieux percevoir

Ce que ce monde sait pourtant faire 

Qui ressemble à du beau

Délivré gratuitement

Pour le seul bonheur de demeurer humains 

Parmi les vivants 


Xavier lainé


17 octobre 2022


mardi 1 novembre 2022

Sans décrocher la lune 16

 



Photographie : XL-Dans la lune (Luke Jerram/Museum of the moon/Biennale Art & culture d'Aix en Provence 2022)



« Artémis Artémis retiens-moi le chien de la lune

Il mord le cyprès et s’inquiètent les Eternels

Dort plus profondément celui qui a baigné l’Histoire

Allez d’une allumette enflamme-la comme esprit-de-vin

La poésie seule est

Ce qui demeure. Poésie. Juste essentielle et droite

Comme peut-être se l’est figurée le premier couple

Juste dans l’aigre du jardin et, à l’horloge, infaillible. »

Odysseas Elytis, A l’ouest de la tristesse


C’est un jour creux qui se passe

Sans que minute ne soit de pause

On vaque tandis que plus haut

On manifeste avec juste raison

Mais me voici tête enluminée de lune

Demeurant sur ma soif

Sur le pas de ma porte

Indifférent certes pas

Mais tout comme puisque resté là


C’est un jour creux qui passe

Un chien voisin hurle à la lune

Puis se tait au chant du coq

J’ai tant perdu de mon esprit de combat

Tant payé cher mes engagements 

Comprenez-vous

Tant payé cher

Que je paye toujours mes actes

Qui pourtant portaient nos rêves

D’aller guillerets vers un autre monde

Sans oser le prétendre meilleur

Mais quand même moins pire


Je ne sais où en est la lune en son voyage


Xavier Lainé


16 octobre 2022


lundi 31 octobre 2022

Sans décrocher la lune 15

 



Photographie : XL-Dans la lune (Luke Jerram/Museum of the moon/Biennale Art & culture d'Aix en Provence 2022)



C’est mon évasion. 

Dans une clarté lunaire, je me réfugie dans les livres.

J’y découvre parfois quelques pépites.

Pépites que je rumine ensuite en regardant la lune s’effacer dans le petit jour.


C’est mon évasion.

Vous n’avez pas envie de vous en évader, vous, de ce monde ?

Pas une minute sans que de partout surgissent ses mauvaises nouvelles.

Pas un minute de répit, ils ne nous lâchent pas.

Ils vont de guerres en misère, occupant tout l’espace de nos survies.


Alors…


C’est mon évasion.

J’attends que lune me sourie.

Qu’elle m’ouvre grand ses bras de tendre lumière.

J’ouvre un livre, parfois pris au hasard.

Je voyage : pas besoin de voitures, fusées, avions.

Juste quelques pages entre deux couvertures qui me réchauffent, qui réchauffent les mots.

Qui me les livrent sur mon canapé, derrière mes volets croisés que je n’ouvre plus.

Pour n’avoir de la rumeur qu’un filet diffus.


Je m’évade, je scie les barreaux du temps et des contraintes.

Je détruit les murs qui enserrent nos vies, à grands coups de poésies lentement mastiquées pour ne rien perdre de leur goût.

C’est là, entre deux bibliothèques que parfois je reçois de grands élans de tendresse.


Xavier Lainé


15 octobre 2022


dimanche 30 octobre 2022

Sans décrocher la lune 14

 



Photographie : XL-Dans la lune (Luke Jerram/Museum of the moon/Biennale Art & culture d'Aix en Provence 2022)



Parfois la lune se tait

Elle ne se montre plus

Mes rêves alors ne savent 

Vers où poursuivre leur route


Parfois la lune nouvelle

S’absente le temps de se refaire une beauté

Son visage disparaît de mon ciel

Je la cherche et je l’attends


Qui à part être aussi dans

Peut être aussi sensible à

Au point de se sentir perdu si

Devant un espace rendu au noir


Mes yeux suivent une ponctuation d’étoiles

Je me blottis entre les bras radiculaires

D’un grand chêne accueillant

Histoire d’attendre qu’elle revienne


Le monde lui s’en fiche bien

Il continue sa route de monde dénaturé

Il ne sent rien de ce que l’univers 

Dans sa course étoilée cherche à dire


À dire de notre fragile condition

Nos frêles prétentions

Nos éphémères convictions


Nous voici si petits devant l’immensité


Xavier Lainé


14 octobre 2022


samedi 29 octobre 2022

Sans décrocher la lune 13

 



Photographie : XL-Dans la lune (Luke Jerram/Museum of the moon/Biennale Art & culture d'Aix en Provence 2022)



Parfois mes nuits 

Parfois mes nuits sont troublées

Non par le sourire rêveur d’une lune attendrie

Mais par un vrai feu d’artifice

D’artifice

Vous avez bien lu

Un feu de tous ces artifices 

Que l’homme invente pour marquer son territoire

Pour marquer un territoire dont il pense

Être le seul propriétaire

Alors il pose un écriteau

Propriété privée

Mais privée de quoi sinon de vie

Il se croit seul

L’homme privé

Il se pose au volant de son véhicule

Au beau milieu d’une rue

À l’heure dite de pointe

Il se pose là et il attend

L’homme privé de vie

L’homme qui ne sent plus

Qu’un regard attendri de lune

Ne vient plus consoler

Emporter

Transporter

Il attend que le monde tourne

Il est dans cette croyance là

Le monde tourne autour de moi

Moi qui ai écris propriété privée

Sur la barrière et le portail de mon coeur


Xavier Lainé


13 octobre 2022


vendredi 28 octobre 2022

Sans décrocher la lune 12

 



Photographie : XL-Dans la lune (Luke Jerram/Museum of the moon/Biennale Art & culture d'Aix en Provence 2022)



Alors, tu vois, j’ai ouvert mes bras à la lune.

Elle est descendue de son ciel.

Elle est venue se blottir un instant.

Elle a posé sa tête lumineuse sur mon épaule.

Je n’osais plus bouger.

Ne pas faire un geste pour ne pas l’effaroucher.

Pour que ce moment dure.

Mais…

Mais le temps toujours lui qui nous harcèle.

Mais les rendez-vous qui se succèdent.

Ce n’est pas la lune qui entre et sort.

Ce sont les brûlés de l’existence qui passent.

Qui viennent sous mes mains tremblantes, chercher un moment de réconfort.

Que puis-je de plus ?

Sinon les inviter à quitter les cieux arides d’une course effrénée.

Sinon chercher comment abandonner les chemins trop bien éclairés vers le naufrage.

Se blottir à l’ombre des buissons le jour et marcher la nuit.

Comme le font tous les réfugiés qui fuient les armes et la misère.

Suivre ce rayon lunaire qui se fait fil ténu d’humanité.

Je disais :

Je voudrais ouvrir mes bras pour que s’y dépose toute la tendresse du monde.

C’était faux.

Mes bras ne sont pas assez grand.

Alors je me contente de cet instant où la lune fragile descend de son ciel et se pose sur mon épaule.

Je retiens mon souffle.

Je n’ose plus bouger.


Xavier Lainé


12 octobre 2022


jeudi 27 octobre 2022

Sans décrocher la lune 11

 



Photographie : XL-Dans la lune (Luke Jerram/Museum of the moon/Biennale Art & culture d'Aix en Provence 2022)




Je vous croise, insouciants.

Les images entrevues des ombres tombées, des visages ensanglantés, des corps mutilés se superposent.

Vingt et unième siècle.


Mon père ces jours-ci aurait eu quatre vingt douze ans.

Je le revois en 2000, maire de son village, planter un « arbre de la liberté ».

Je le revois avec toutes ses espérances en un monde meilleur.

Il croyait que les choses viendraient d’une pratique de la démocratie.

Il ne voyait rien venir, dans sa bulle de retraite obtenue à soixante ans, de l’âpre défaite qui se déchainerait sur les vingt premières années de ce siècle.

C’est long un siècle, surtout quand la vie s’y trouve combattue par l’âpreté au gain.


Mon père aurait eu quatre-vingt douze ans ces jours-ci.

Je n’en parle pas trop.

Il m’a toujours semblé tellement naïf devant la réalité du monde.

Il croyait qu’il suffisait de glisser un bulletin dans l’urne pour changer le monde.

Il croyait aux discours et ne lisait rien entre les lignes.

Il avait connu le pire : un temps de guerre qui berça son adolescence.

Il s’imaginait que rien ne pouvait recommencer de cette tragédie.

Mon père est parti.

Il avait cru en la jeunesse d’un président sans voir la perversité qui se dessinait sous le masque.

On lui aurait promis la lune qu’il aurait cru qu’elle lui serait offerte.

Le masque tombé, quelle relation entre sa rapide extinction et la montée du pire sous l’égide d’un jeune blanc-bec sans envergure sinon son cynisme.

Mon père aurait eu quatre-vingt douze ans ces jours-ci : il n’avait rien vu venir de cette honte qui souille notre mémoire chaque jour un peu plus.


Xavier Lainé


11 octobre 2022