lundi 2 août 2021

Lettre ouverte sur la paix à Monsieur le maire de Manosque (04) et aux conseillers municipaux (Suite 2)

 




Rappel des épisodes précédents :

Dans sa séance du 21 mai 2021, Monsieur le maire de Manosque donnait lecture d'une motion soumise au conseil municipal par le Mouvement de la paix demandant que ledit conseil suggère au Président de la République la ratification par la France du Traité d'interdiction des armes nucléaires, entré en application en janvier 2021.

Cette motion, tombée dans un froid glacial des conseillers de tous bords, ne fut défendue par personne et, comme de bien entendu, rejetée.

Plus impressionné par le froid accueil réservé à cette initiative qu'à son rejet (hélas prévisible), j'écrivais une lettre ouverte à Monsieur le maire que vous retrouverez ici : Lettre ouverte à Monsieur le maire et ses conseillers municipaux

Bien entendu, cette lettre est tombée dans le puits sans fond et sans écho des médias locaux, plus prompts à établir la chronique des chiens écrasés qu'à débattre de questions philosophiques.

Toutefois, fin juin, à ma grande surprise, je reçus dans ma boite aux lettres une réponse assez personnelle et "technique" de Camille Galtier, Maire de Manosque, et me promettais d'y répondre. (Lettre ouverte à Monsieur le Maire et ses conseillers municipaux (suite 1))

Le temps étant ce qu'il est, c'est à dire fort peu élastique quoique relatif et inexistant, de procrastination en remise au lendemain, j'ai fini tout de même par écrire la réponse ci-après (postée le 27 juillet avec promesse de la rendre publique, j'ai attendu qu'elle soit sur son bureau pour la publier ici).


Lettre ouverte à Monsieur le maire (et aux conseillers municipaux ?)

Xavier Lainé



À Monsieur Camille Galtier
Maire de Manosque

Hôtel de Ville

Place de l’Hôtel de ville

04100 Manosque


Référence : Votre courrier du 21 juin 2021 référencé CG/HF/gr/2021/91


Manosque le 27 juillet 2021


Monsieur,


Je vous prie de bien vouloir m’excuser d’avoir tant tardé à vous répondre. Faisant partie de « vos administrés » au service de beaucoup d’autres dont les souffrances endurées, surtout en cette période étrange, me laissent que fort peu de temps, les journées sont résolument trop courtes.


Soyons clair : votre lettre m’a mis dans un certain embarras. Je ne suis pas un expert en joutes politiques et c’est tout à fait volontairement que ma lettre ouverte du 6 juin dernier cherchait à débattre philosophiquement et non techniquement ou économiquement du sujet de la Paix et du désarmement nucléaire.
Embarras : ma lettre vous était adressée, ainsi qu’aux conseillers municipaux. Votre « souci démocratique » vous aura-t-il poussé à leur communiquer mon propos ? Qu’en ont-ils pensé ? Vous ont-ils suggéré votre réponse « technique » à des questions qui, contrairement à ce que vous affirmez, concernent résolument le « bien-être de vos administrés » ? Peut-être pourrez-vous éclairer ma lanterne ?


Si je vous suis reconnaissant d’avoir soumis « démocratiquement » la motion du Mouvement de la paix à votre conseil municipal (qui, démocratiquement toujours, et si nous poussons la réflexion au sens étymologique des mots, n’est pas « votre » mais « notre » conseil municipal), si je vous suis tout aussi reconnaissant d’avoir lu ma missive et d’y avoir donné réponse (ce qui n’a pas été sans me surprendre en me laissant entrevoir que mon propos philosophique n’aura pas été totalement vain), je persiste à penser que le rôle d’un élu, quelle que soit sa place dans les institutions de l’Etat, n’est pas seulement d’administrer mais d’impulser une réflexion démocratique, y compris sur des sujets qui ne relèvent pas juridiquement de sa compétence mais qui posent des problèmes suffisamment graves pour la survie de l’humanité.
Je vous observe : il semble bien que le climat soit parmi vos préoccupations, ce qui est, en soi, louable. S’il en est ainsi, ne croyez-vous pas que la paix mériterait la même attention ?
Je ne peux pas m’empêcher de penser que vous devez bien avoir une opinion sur ces sujets, à moins de réduire votre rôle politicien à la portion congrue d’une « charge électorale » dépourvue de tout concept, de toute pensée.


Que ma philosophie ne soit pas la vôtre relève, comme vous le dite, de bonne démocratie. Encore faut-il avouer que nous en avons une et de quelle nature.
Je vais être précis : ma philosophie considère que les institutions sont oeuvres humaines qui n’ont rien d’immuables et conteste qu’un seul homme puisse avoir pouvoir de vie et de mort sur le misérable humain que je tente d’être.
Contrairement à ce que vous affirmez, même dans une constitution aussi contestable démocratiquement que la Vème République, un certain nombre de garde-fous existent qui ne laissent pas tout pouvoir au Président de la République en matière de défense nationale. S’il s’agit bien d’un « domaine réservé », ses décisions doivent être soumises à un conseil des ministres ainsi qu’à des parlements.
En « bonne démocratie » telle que vous semblez la souhaiter, il convient en effet que le pouvoir solitaire d’un homme soit à tout le moins « tempéré » par quelques contre-pouvoirs afin d’éviter toute dérive autoritaire.
Le pouvoir démocratique ne saurait être réduit à l’exercice solitaire d’un homme, fut-il le meilleur et le mieux intentionné, et ce à quelque niveau de l’Etat que ce soit.
Vous n’êtes pas, sauf votre respect, seul détenteur d’un pouvoir municipal, vous n’en êtes que le dépositaire le temps d’un mandat sous le regard d’un conseil municipal pluraliste et qui a pour devoir de tempérer vos ardeurs si nécessaire.


C’est ainsi : je sais que cette conception des choses n’est certainement pas la vôtre. Votre courrier abonde plutôt dans le sens d’un conformisme étonnant compte-tenu de votre jeunesse. 

Le « si vis pacem para bellum » ou concept de « paix armée » est passablement écornée par les preuves historiques de son insuffisance philosophique. Même sur Wikipedia, qui n’est pas toujours une référence, Pierre Larousse est cité qui disait : « Cette maxime toute romaine est peu

philosophique... Il est paradoxal de dire que les gros bataillons assurent la paix. Les peuples sont de grands enfants : quand on a de si belles armes, il se trouve toujours des fous qui brûlent de les essayer ».

Cette conception des choses a été abondamment commentée, et son danger largement  abordé dans la littérature et les discours dans l’histoire, en particulier depuis l’invention de la bombe nucléaire et son usage au XXème siècle.
Etant le dépositaire pour le temps de votre mandat du « bien-être » des administrés, les citoyens sont en droit de vous demander selon quelle philosophie vous entendez y travailler. C’est une question fondamentale, bien plus fondamentale qu’un programme en forme de catalogue où sont énumérées les mesures concrètes que vous envisagez de prendre. Car il n’est d’action concrète qu’inscrite dans une pensée du monde.
La tentation serait grande de tomber dans le piège d’un économisme de bazar qui ne cesse de polluer les débats démocratiques depuis au moins quarante ans, du fait de la domination philosophique libérale dans tous les domaines de la société (étatique, médiatique, sociologique, et bien entendu économique). Cette hégémonie de la pensée porte en elle-même la ruine de tout esprit démocratique.


Je sais bien qu’en vous écrivant de la sorte, certains pourront juger ma prise de parole et l’affubler d’un « angélisme » que j’assumerai volontiers pour la bonne raison qu’aussi loin que nous puissions remonter dans l’histoire, ce ne sont jamais les catégories les plus vulnérables qui ont déclaré les guerres, mais bien les plus puissants, les premiers partant au front par obligation et parfois même se trouvant condamnés à mort lorsqu’ils osaient contester le bien fondé des conflits (rappelez-vous donc les « fusillés pour l’exemple » de 1914-1918).


Dans mon courrier je prenais la précaution de m’adresser aux femmes et aux hommes que vous êtes, non seulement aux élus dans leur fonction.
La question de l’abolition des armes nucléaires ne relèverait donc pas du « bien être » de vos concitoyens ?
Qui pourrait prétendre, comme vous semblez l’affirmer que ces armes nous « protègent » ? 

Regardez bien le monde comme il semble tourner, avec ses injustices économiques, sociales, climatiques : pensez-vous vraiment que, face à des populations affamées et n’ayant plus rien à perdre la seule réponse serait la « dissuasion nucléaire » ? 

Quid de ces armes si l’instabilité politique que certains pays enregistrent déjà venait à gagner nos pays qui se prétendent civilisés et que cet arsenal tombait entre des mains bien moins sympathiques que les dignes politiciens d’un système démocratique essoufflé ?


Vous me permettrez, pour conclure d’en revenir à Camus dans son « Discours sur la guillotine » qui écrivait : 

« Si la peur de la mort est une évidence, c’en est une autre que cette peur, si grande qu’elle soit, n’a jamais suffi à décourager les passions humaines.

[…]

Devant le crime, comment se définit notre civilisation ? La réponse est simple : depuis trente ans, les crimes d’Etat l’emportant de loin sur les crimes des individus. Je ne parle même pas des guerres, générales ou localisées, quoique le sang aussi soit un alcool, qui intoxique, à la longue, comme le plus chaleureux des vins. Il y a de moins en moins de condamnés de droit commun et de plus en plus de condamnés politiques. […] Ceux qui font couler le plus de sang sont les mêmes qui croient avoir le droit, la logique et l’histoire avec eux.

[…]

Les lois sanglantes, a-t-on dit, ensanglantent les mœurs. Mais il arrive un état d’ignominie, pour une société donnée où, malgré tous les désordres, les mœurs ne parviennent jamais à être aussi sanglantes que les lois. »


Ce sont ces questions qu’élus et citoyens nous avons le devoir de nous approprier et d’en débattre. À moins de considérer, comme votre philosophie semble vouloir l’admettre, qu’au nom des institutions et de la constitution, le débat démocratique est clos, ne concernant plus qu’un homme, seul, démiurge au nom du peuple.


Je vous renvoie en effet à votre citation du Général de Gaulle qui fut l’instigateur, à l’instant de son coup d’Etat contre l’OAS, en 1958, d’une constitution taillée à sa mesure : « Il n’y pas de politiques qui vaillent en dehors des réalités ».

Comme la notion même de réalité est parfaitement subjective et varie selon notre perception, vous admettrez peut-être que les questions posées dans mon courrier du 4 juin dernier, au regard du vôtre faisant « rappel technique sur les institutions et le rôle de chacun en leur sein », gardent toute leur validité et que le débat mérite d’être encore et toujours ouvert car il concerne nos vies et nos espérances.


Je vous serais reconnaissant de bien vouloir porter à la connaissance des conseillers municipaux la teneur de ma réponse à votre courrier.

Je garde l’espoir que cette correspondance puisse être le ferment d’un riche débat sur le sujet de la paix et du désarmement.

Car il est plus urgent que jamais de sensibiliser nos concitoyens à ces questions. Pour ce, je rendrai public mon courrier, comme le premier, bien évidemment.


En vous priant, d’agréer, Monsieur, l’expression de mes plus cordiales salutations.


Xavier Lainé



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