Je vous écris
Je vous écris du fond de la mine
Du fond de moi-même enfoncé dans la mine
Je suis de cette espèce en voie de perdition
Qui ne sait vivre autrement qu’en vivant
Qui ne sait rien calculer
Qui n’a d’ailleurs jamais su
Je vous écris
Je vous entends railler mon inconséquence
De n’avoir rien calculé en vue de ma vieillesse
Au point que demain peut-être
Il me faudra larguer les amarres d’une vie
Aux apparences trompeuses
Rien parmi les riens
Minable idéaliste dont les rêves pourtant
Avaient parfois belle allure
Je vous écris
Vous me dites
Tu aurais dû
Tu aurais pu
Calculer
Prévoir
Te projeter
Mais
Dans quel avenir sinon cette épouvantable défaite
De l’esprit et du corps
Où nous enferme le monde jailli d’un coup d’Etat
Dans la violence et le meurtre d’un peuple
Est-ce dans ce monde là
Dans cet univers là
Que vous me suggérez n’avoir pas su me projeter
Un monde où tout s’achète et tout se vend
Un monde où sauf à lisser les apparences
L’existence n’est rien d’autre qu’une façade
Un vernis sans contenu
Un tableau qui n’exprime rien
Que la sauvegarde de lui-même
Est-ce donc ça votre monde
Je vous écris
Je vous écris du fond de ma colère
Colère rentrée
Qui ne trouve sortie que dans les mots
Maudits mots qui chantent à mes oreilles
Depuis toujours
Vains mots maudits
Qui disent ce qui travaille
Dans les profondeurs d’un monde absurde
Je ne suis pas de ce monde là
Qui s’échine à gagner sa vie
En en perdant l’âme et l’espérance
Sur les ruines de ce qui fait la beauté
Je suis de ceux qui sont les éternels perdants
Ceux qui repartent avec leur petite valise
Une fois les grands destructeurs de mondes passés
Huns parmi les Huns
Ils ne savent parler que de guerres
Ils la font mais pas par eux-mêmes
Ils y envoient encore mes congénères
Qui ne sont rien aux yeux des apparences dorées
*
À Michèle Durand et Virginie Besançon
Il suffit parfois d’une bulle de beauté
D’un espace d’humanité
Où brille l’art de créer
De mots en textures
Quelque chose se noue et se dénoue
C’est comme un message lancé
Dans les vagues du temps
Parfois le fil des mots
Raccommode les fragments
La vie est ainsi qui nous laisse
Un peu brisés
Un peu amers
L’art est un refuge
À qui veut
Ne pas perdre pied
Xavier Lainé
7 mars 2024