Sans décrocher la lune 24

 

Photographie : XL-Dans la lune (Luke Jerram/Museum of the moon/Biennale Art & culture d'Aix en Provence 2022)

Parfois enfreindre les règles

Celles que l’on s’impose à soi-même

Celles qui semblent infondées

Celles causées par habitudes

Enfreindre

Donc ne pas aller au bout de la page

Délivrer les mots de leurs contraintes

Libérer l’écriture du carcan des consignes

Ne pas faire de la littérature

Juste

Écrire

Enfreindre

Il semble qu’en ces jours 

Jours de grande disette de la pensée

Les yeux fermés ne verront pas 

La lune passer devant le disque solaire

Si belle inversion des rôles

Je te fais briller la nuit

Je t’obscurcis le jour

Comme dans la vie

On peut briller en secret

Ne pas apparaître sur le front

Juste être là pour les blessés

Ceux qui « trop supportent »

Ceux qui plient sous le joug

À s’en faire péter les vertèbres

Mais serrent les dents 

Pour ne pas crier

Ne pas crier

Xavier Lainé

24 octobre 2022

Sans décrocher la lune 23

 

Photographie : XL-Dans la lune (Luke Jerram/Museum of the moon/Biennale Art & culture d'Aix en Provence 2022)

Il lui offrait une pierre de lune

Prétendant qu’elle brillait de cette étrange clarté

Elle le prenait mal

« La lune ne brille pas d’elle-même »

« Elle ne fait que refléter la lumière solaire »

Mais c’est si douce clarté 

Il lui offrait une pierre de lune

Lui passait au cou le collier 

En signe d’un amour invisible

Un amour inexprimable

Tout ceci n’était que dans un film

Un scénario si loin de toute réalité

Qu’en la nuit toujours plus étendue

On se prenait à rêver

Xavier Lainé

23 octobre 2022

Sans décrocher la lune 22

 

Photographie : XL-Dans la lune (Luke Jerram/Museum of the moon/Biennale Art & culture d'Aix en Provence 2022)

« Dire une chose et en faire une autre, sans prendre la parole au sérieux, ne peut stimuler la confiance.

Parler, par exemple, de démocratie et réduire le peuple au silence est une farce. Parler d’humanisme et nier les êtres humains est un mensonge. »

Paulo Freire, La pédagogie des opprimés

C’est ainsi que la nuit s’étend

Que l’hiver gagne peu à peu les esprits

Que la léthargie engourdit les consciences

Il ne suffit pas 

Qu’ici ou là

Quelques signes de révolte pointent

Il ne suffit pas

Car c’est de notre humanité

Dont il est question

Mais peut-être au fond

Suffira-t-il d’un joli poème

D’une belle fleur au bord du chemin

D’une étreinte égarée

Pour retourner à la nuit

Nuit sans lune s’entend

C’est ainsi que la nuit s’étend

Que l’hiver des coeurs

Tarde à s’ébrouer des cauchemars subis

On peut se réjouir

Du monde traversant le pays

Pour un moment fort convivial

On se sent moins seul

C’est certain

Xavier Lainé

22 octobre 2022

Sans décrocher la lune 21

 

Photographie : XL-Dans la lune (Luke Jerram/Museum of the moon/Biennale Art & culture d'Aix en Provence 2022)

« Aucun « ordre » oppressif ne supporterait que tous les opprimés se mettent à dire : « Pourquoi ? » » Paulo Freire, La pédagogie des opprimés

C’est là que nous décrocherons la lune

Dans une avalanche de « Pourquoi »

Et

Dans cette avalanche

Les rochers de la remise en question

Pourquoi rester spectateur

Pourquoi se rendre indifférent

Pourquoi confier à des mains sales

Nos vies 

Pourquoi

Pourquoi ne pas

Pourquoi y aller

Renverser les bancs et les chaises

Et puis les tables aussi

Pourquoi en faire barricades

Nous protégeant dans notre acte créateur

Donc évolutionnaire

(Ne cherchez pas la faute

Il n’y en a pas)

Puisqu’ils ont horreur des questions

Posons-les et ne lâchons rien

Avant d’obtenir des réponses

Qui ne viendront pas

Car si nous hésitons

Eux savent bien pourquoi

Une histoire de gros sous

Xavier Lainé

21 octobre 2022

Sans décrocher la lune 20

 

Photographie : XL-Dans la lune (Luke Jerram/Museum of the moon/Biennale Art & culture d'Aix en Provence 2022)

Le lune n’en revient pas

Voici que des hommes 

Qui ne comptent 

Que par leurs comptes

Ne sachant que compter

Accumulant monnaies

En des coffres bien gardés

Considèrent leurs semblables

Comme pièces interchangeables

D’un jeu d’échec

Où l’échec se doit d’être 

Toujours du même côté

Pas du leur évidemment

Car eux considèrent victoire

Dans l’ampleur d’un porte-feuille

La lune n’en revient pas

Le soleil non plus qui se cache

Pour ne plus rien voir

De ce que certains hommes 

Infligent à leurs congénères

La lune n’en revient pas

Qui se cache pour pleurer

Par nuées interposées

« Il faut profiter de ce qui est encore bon »

Disiez-vous sans regarder le ciel

Ni le soleil ni la lune

Ni la végétation assoiffée

Ni les migrations de noyés

Ni

Ni le néant semé de mains de maîtres

Xavier Lainé

20 octobre 2022

Sans décrocher la lune 19

 

Photographie : XL-Dans la lune (Luke Jerram/Museum of the moon/Biennale Art & culture d'Aix en Provence 2022)

On ne demande pas la lune

Juste de pouvoir vivre dignement

C’est quoi vivre dignement

C’est ne pas passer le temps qu’il reste

Une fois le travail accompli

À compter et recompter

La profondeur abyssale de nos découverts

On ne demande pas la lune

Juste la possibilité d’aller et venir

De pouvoir de temps en temps

Nous payer le petit extra d’un cinéma

D’un concert ou d’une pièce de théâtre

De ne pas chipoter devant le prix d’un livre

Comme nous chipotons devant les pompes à essence

On ne demande pas la lune

Juste ce petit espace offert

À la sueur de notre front

Pour bons et loyaux services

Qui fait que la vie peut être

Amoureuse en diable

Légère comme un soupir

Dans la fraîcheur d’un automne

On ne demande pas la lune

Juste cet embryon de liberté

Qui nous permettrait

D’aller à la rencontre de l’inconnu

Sans devoir calculer et racler

Le fond de nos poches 

Trouées d’un profond désespoir

Je vous assure qu’on ne demande pas la lune

Xavier Lainé

19 octobre 2022

Sans décrocher la lune 18

 

Photographie : XL-Dans la lune (Luke Jerram/Museum of the moon/Biennale Art & culture d'Aix en Provence 2022)

« J’ai fini mon travail, ni la colère de Jupiter, ni le feu,

ni le fer, ni le temps vorace ne pourront le détruire.

Quand il veut, le jour qui n’a de droit

que sur mon corps ! Qu’il finisse mon temps incertain de vie :

immortel en ma meilleure partie, par-dessus les astres hauts

on me portera, mon nom sera ineffaçable ;

partout où s’étend, sur les terres dominées, la puissance romaine,

la bouche du peuple me lira ; j’irai, connu, à travers les siècles

et, s’il y a quelque chose de vrai dans les oracles d’un poète, je vivrai. »

Ovide, Les métamorphoses, traduction de Marie Cosnay

J’irai sur les traces d’Ovide

Sous cette lune qui nous est commune

Traversant le temps

Sinon qu’Ovide l’a traversé

J’irai sur les traces d’Ovide

J’écrirai la légende d’un temps

Qui ne connaît plus rien

Des fastes ni des empires

Un temps qui lèguera

Zones marchandes hideuses

Architectures de pacotille

Écrits sur des écrans en perdition

J’irai sur les traces d’Ovide

Sachant qu’il ne restera pas grand chose

De ce monde vendu au plus offrant

Plus grand chose de nos mémoires 

Saturées d’informations en continu

De nos savoirs confinés en des salles obscures

Quelque part sur un cloud 

Que nul peut-être ne saura plus ouvrir

Je suivrai la métamorphose d’un temps sans avenir

Xavier Lainé

18 octobre 2022