Sortir des brumes 21

 

Si je devais attendre qu’inspiration vienne

La page demeurerait blanche indéfiniment

Si je devais attendre que les mots sortent

Bien habillés en tenue correcte exigée

Ils resteraient dans l’entrée

Faisant les cent pas tout autour de la page

Si je devais attendre qu’un livre soit publié

Pour pouvoir dire que j’écris

Mes journées seraient peuplées de silence

Si je devais attendre pour me mettre à l’ouvrage

D’avoir construit un « projet littéraire »

Capable de briguer les prix et les récompenses

Je me vouerais à une vie d’ermite

Loin de ce monde qui dresse catalogue

De ceux qui ont droit à exister

À ceux qui ne sont rien au regard des premiers

Dès lors je n’attends pas

J’écris des choses fort peu poétiques

Au risque de chagriner les bourgeois

Qui aiment qu’on les caresse

Dans le sens du poil de leur insignifiance

Dès lors je refuse de me taire

De laisser les pages désespérer

Dans le blanc d’un hiver des coeurs

Où plus grand chose n’a de sens

Sinon ignoble condamnation

À vivre dépossédé de toute parole

Xavier Lainé

21 janvier 2025

Sortir des brumes 20

 

En voilà qui se réjouissent

Plus rien ne les effraie

Sinon la perspective

De demeurer 

En territoire d’humaine condition

Pitoyable humanité qui se perd

Dans les méandres de sombres calculs

*

Alors je gratte à la surface 

Je regarde derrière ce qui vient

L’humaine condition en a vu d’autres

De barbaries en renaissances

Dans un parcours sinueux

C’est un phénomène étrange

Cette capacité à se laisser dominer

Par les pires en croyant aller vers le meilleur

*

Je regarde la toile des apocalypses

Comme mes mots elles tentent de dire

Ce versant peu glorieux du réel

Puis comme Alice

Je tente d’entrer dans la toile

Pour voir juste voir

Si derrière les lignes qui se croisent

Il serait possible d’entrevoir

Un autre monde possible

Bien plus avenant que celui-ci

Xavier Lainé

20 janvier 2025

Sortir des brumes 19

 

Toujours je navigue

D’un pôle à l’autre

D’un hémisphère à l’autre

Je voyage

Jamais ne m’arrête

Souffler

Souffler est derrière les barreaux

Des mots et des choses vécues

Bien au-delà

Parfois je pose mes pénates

En des lieux chargés d’histoires

Je mets le mot au pluriel

C’est comme si les passants 

Laissaient ici trace de leur passage

Traces de vies insondables

Dont je ne sais rien

Sinon qu’elles sont passées

Laissant derrière elles

Un sillage d’émotions et de rêves

Xavier Lainé

19 janvier 2025

Sortir des brumes 18

 

Vertige

Tu vis avec ce vertige

De ne jamais tenir les choses

Comme tu voudrais les tenir

Toujours elles t’échappent

Toujours elles n’en font qu’à leur tête

Et toi

T’es là

Avec ce vertige

Dans le tourbillon d’une vie

Dont tu n’as jamais vraiment su

Tenir les rênes

Toujours quelque chose t’échappe

Quelque chose que tu ne peux ni sais maîtriser

Quelque chose qui te fait tourner la tête

Un amour de passage

Un autre qui s’installe

Qui ne fait qu’accélérer ce sentiment

De vertige insensé

Cette perception d’une vie

Dont tu ne maîtrise rien

Ni l’alpha

Ni l’oméga

Une vie qui t’appartient

Sans vraiment t’appartenir

Une vie qui se fait maelström

Une vie qui siphonne tes rêves

Qui te laisse sur le sable

Une fois la tempête passée

Robinson d’un monde qui n’est

Que vertige et illusion

Vertige

Depuis si longtemps tu vis ainsi

Xavier Lainé

18 janvier 2025

Sortir des brumes 17

 

Ce qui vient et ce qui n’arrive jamais

Ce que tu attends qui jamais ne t’est donné

Ce qu’on a vu et ce qu’on ne verra jamais

« Jamais on n’a vu

Jamais on n’verra »

Disait la chanson d’enfance

Pourtant c’est sur des rêves que tu construit 

Une existence qui se prépare aux récifs

Une vie apte aux naufrages

Car rien n’arrive jamais 

À qui ne cesse d’attendre

Ou de réclamer un dû

Sans engager la moindre lutte

« Ceux qui vivent sont ceux qui luttent »

Disait Hugo avant d’envoyer au diable

Les pauvres diables assassinés

Sur les barricades de la Commune

Comme quoi

Selon que tu es riche ou misérable

Ce qui est dû te vient ou pas

Selon le côté de la barricade

Tu reçois des dividendes

Ou tu dois arracher ta pitance

La vie te sourit

Ou se résume à survie

Rien n’arrive sans mise en oeuvre

Des moyens nécessaire à conquérir l’inaccessible

Xavier Lainé

17 janvier 2025

Sortir des brumes 16

 

Que faire des pleurs 

De l’angoisse et de la déprime

Sinon l’accueillir

Au moins

L’accueillir

Que dire encore 

Lorsque l’état de souffrance est dit

Mais qu’au nom d’examens négatifs

Doctement on nie toute douleur

On nie leur existence même

Renvoyant le patient à celle-ci

Sans un geste pour en atténuer le cours

Dès lors j’accueille les pleurs

Mes mains se font bureau des douleurs

Même si elles ne peuvent pas grand chose

Sinon tenter d’en panser la béance

Pour obtenir un fragile soupir

Un éphémère sourire

Que dire d’administratifs

Qui au nom de leur submersion

Tandis qu’on pointe aux portes du chômage

Ne trouvent plus le temps de s’occuper

Des dossiers en souffrance

Jetant tant de gens dans les griffes de la misère

Que dire encore de cette inhumanité

Dont mes journées sont de plus en plus jonchées

Sans que je puisse trouver réponse

Ni inventer solution

Sinon soutenir l’insoutenable

Ne pas transiger avec une règle éthique de vie

Qui tente de soigner notre humanité qui va si mal

*

Je n’émets aucun voeux

Trop peu de goût pour ces objets qu’on envoie

Sans trop y penser ni croire

Et qui ne retombent jamais

Alors je me retiens

Au risque de paraître peu sociable

Mais à ces mots dits sans y croire

Je préfère me mettre à l’oeuvre 

Et tenter de sauver encore

Ce qui reste d’humain 

Panser les plaies de notre humanité malmenée

Pour lui permettre de s’inventer de nouveaux chemins

Trop d’humains ont perdu toute boussole

À se laisser entraîner sur des chemins algorithmiques

Qui ne leur laissent aucun répit

Les embarquent malgré eux

Dans la spirale infernale d’un monde sans illusions

Sans rêves et sans utopies

Xavier Lainé

16 janvier 2025