vendredi 2 avril 2021

Rouge misère 4 (Nouveaux états chroniques de poésie - Volume 12 - Tome 3)

 




Je vous ai donc suivi, de siècles en siècles.

Je vous ai vu vous heurter aux remparts, aux ponts soudain levés, aux donjons et aux chevaliers protecteurs des puissants.

Je vous ai vu hanter les chemins lorsque vous ne finissiez pas au gibet.

Mi-bandits de grands chemins, mi-errants magnifiques toujours en quête.

En quête de travail, bien sur, mais surtout en quête d’un savoir qui ne se trouvait dans aucune bibliothèque détenue par les moines et les curés.

Vous étiez à l’origine de toutes les découvertes, courant le monde connu et rêvant au bord des chemins creux.

Je vous ai vu quitter vos terres pour vous faire enrôler sur des navires branlants, partant coloniser des rivages lointains.

Prolétaires d’avant le prolétariat, mercenaires au service du pouvoir plutôt que de crever de faim.

Car vous n’aviez pas le choix.

Les terres spoliées, les ressources privatisées par une aristocratie sans pitié.

Vous n’aviez pas le choix.

C’était ça ou crever.

Alors c’était l’armée ou l’usine naissante.

Parfois l’usine qui prenait la place de vos maigres fermettes laborieusement construites de générations en générations.

La faim récurrente était le moteur de vos révoltes.

Toujours elle, manipulée de mains de maître par un pouvoir monarchique ignorant de vos vies.

Un jour, la nouvelle s’en est répandue : « Qu’ils mangent de la brioche ! »

Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase.

La lave de la colère gonflait dans les faubourgs.

Il en fallait si peu pour que la marée des révoltes se coagule sur les places.

Misère n’était déjà plus tout à fait synonyme d’ignorance.

Les philosophes et le livre avaient quitté leurs tours d’ivoire. 


Xavier Lainé


4 mars 2021


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