lundi 30 octobre 2023

Conjurer l’horreur 7

 




Peut-être un peu Indien au fond de la forêt

Ou Kurde dans les montagnes sauvages

Mais ardent défenseur de cultures qui nous disent

Qu’un autre monde

Une autre vie

Un autre rapport à nous-mêmes

Une autre relation aux autres

Serait possible

Hors domination des pervers 

Obnubilés par leur porte-feuille


Peut-être un peu d’un autre temps

D’autres meurs et coutumes

Que celle-ci qui ne cesse de briser

Notre manière d’être vivants

Et donc de devenir humains


Mes rêves accompagnent ceux qui fuient

Je suis un jour arménien fuyant les guerres

Un autre tibétain dont si peu parlent encore

Ou ouïgour sous le joug 

Je suis noir avec les noirs qui fuient

Avec ceux qui furent esclaves

Réduits à être marchandise dans l’enfer 

D’un monde arrogant et cynique

Je suis femme avec toutes celles qui tombent

Sous les coups des mollahs

Sous la violence de mes congénères

Hommes avinés et stupides 

Qui ne sont que muscle et sexe

Érigés en principe de « bonne » gouvernance



Je nie la nécessité de l’autorité

Je suis juif lorsqu’ils sont persécutés

Et aussi musulman quand ils sont stigmatisés

Je tente d’être homme malgré le fardeau

Que la mâle domination nous a léguée


Je suis en tentative de devenir humain

Si un jour il nous arrivait d’en connaître la définition


*


Écrire m’emporte dans un au-delà de moi-même

Comme si mon âme sensible se mettait à l’écoute

D’un monde de moi ignoré qu’il me faut explorer


Écrire est cette fonction malgré moi ébauchée

Qui me fait arpenter jour et nuit les pentes 

Suivre les chemins creux où errent êtres et choses


Écrire me pose une exigence terrible

Quotidiennement posée devant mon regard

Comme si un monde venait s’assoir à ma table


Écrire exige de moi de démêler l’écheveau 

Qui emmêle nos vies en des méandres subtils

Pas toujours amoureux mais parfois quand même


Écrire me met au pied du mur d’un devoir

Qui s’impose de moi-même à mes doigts

Une obligation que nul ne saurait me dicter


Écrire me laisse parfois sec dans la réalité du jour

Ne sachant quoi faire de mes mains ni de mes yeux

Encore moins de mes pensées en vrai tumulte


Écrire me pose et s’impose comme mon ombre

Les pages me suivent puis disparaissent 

Dans la foule des mots orchestrés sans ordre précis


Écrire est une affaire profonde qui sonde en mon âme

La nécessité d’observer le monde réel 

Pour en tirer des leçons de vie



Xavier Lainé

7 octobre 2023



dimanche 29 octobre 2023

Conjurer l’horreur 6

 




On aurait pu croire que

Mais c’est erreur

De croire que


Les choses sont parfois écrites

Pour conjurer les sortilèges

Évacuer les angoisses et les peines


On pourrait croire que

Mais c’est une erreur

De croire que


J’écris certes et je décris

Je crie aussi au scandale

Du silence et des complicités


On pourrait croire que

Mais c’est une erreur

De croire que


Tout au fond de mes nuits

Tout au cours de mes jours

Ce qui domine n’a rien à voir


Avec ce qu’on pourrait croire

C’est une erreur 

De croire que


Aucune pensée morbide

Juste une saine et rassurante

Colère justifiée

Il me semble

Justifiée


Quoi la colère

N’aurait pas droit de cité

Sur la page d’un poème


Quoi cette censure

Imposer de parler d’autre chose

Quand l’injustice

Vous claque à la gueule


Mais au fond


Ce serait erreur de croire que

Ce serait complaisance pour le morbide

Non


NON


Mes rêves sont peuplés de beauté

Mes rêves défilent jours et nuits

Qui bâtissent et prospèrent

Dans un monde bien différent 


Mes rêves franchissent tous les parapets

Des convenances établies

Ils sont peuplés d’infinie tendresse

D’amours qui savent ne point s’éteindre

Mais s’étreindre toujours


Mes rêves se débarrassent

De tous les fauteurs de guerre et de misère

Mes rêves ressuscitent les humains défaits

Oubliés dans les fosses communes

D’une histoire écrite avec leur sang


Ne croyez rien de ce que vous voyez

Apprenez donc à regarder derrière les mots

Dénonciation des faits ne vaut pas description

Du tragique qui s’étale sous nos yeux 


Car si poème se tait

Les tyrans s’en frottent les mains

Qui s’appliquent depuis toujours

À effacer les traces hideuses

Des crimes qu’ils ont commis


*


« Nuit et brouillard »

Si souvent chanté

Qui se termine ainsi


« On me dit à présent que ces mots n’ont plus court

Qu’il vaut mieux ne chanter que chansons d’amour

Que le sang sèche vite en entrant dans l’histoire

Et qu’il ne sert à rien de prendre une guitare »


Si souvent chanté que les mots viennent de mémoire

Mémoire défaite pour combien d’entre nous

Qui dorment paisiblement

Tandis que sang et larmes coulent

Juste devant nos portes


Je vous assure que pourtant

Les mots d’amour ne s’effacent pas

Ils seraient simplement plus sereins

Si

Ils pourraient s’exprimer si


Mais


MAIS


C’est ce « mais » 

Qui chaque jour

Pose un bémol de plus

Sur la partition d’un bonheur

Qui aimerait pouvoir vivre

Au grand jour


*


Ce qui n’exclue pas ces moments là

Frêles instants où le bonheur montre son nez

Mais sans doute est-ce lié aux années

L’instant est éphémère

Il disparaît sitôt entrevu

Emporté par la vague 

D’un monde où vivre

Demeure une question



Xavier Lainé

6 octobre 2023