Les tragédies
Toujours les tragédies
Ce monde saurait-il créer autre chose
Que tragédies
1913
2023
110 ans
Toujours peuples contraints à fuir
Quitter leur terre
Partir
Toujours partir
Reconstruire ailleurs
Ce qui a été détruit ici
Toujours
Je lis
« Et si on parlait d’hommes, de femmes et d’enfants au lieu de migrants »
Je lis
Je lis la générosité de l’enfant fuyant qui tend sa pomme au photographe
Et ce dernier qui pleure
Pas photo
Non
Pas photo
Ne détrônez pas votre regard
Je ne dis pas la tragédie par sensiblerie
Je me contente de dire
Pour que nous nous levions
De nos canapés d’indifférence confortable
Je dis la tragédie à nos portes
Là
Devant nos yeux
Je dis les coupables qui ont des noms
Des visages qui apparaissent
Derrière les visages burinés de fatigue et d’errance
Je dis
Certes les coupables possèdent les médias
Ils n’y montrent pas leurs visages
Ils n’y étalent que leurs dollars
Ils sont reçus en grande pompe
Aux frais de leurs victimes
À Versailles et sous les ors
De défunte République
Mais toujours la tragédie
Jusqu’où nous faudra-t-il descendre
Dans l’ignoble
Avant de réagir enfin
Et traduire devant le tribunal de l’histoire
Les coupables de celles-ci
Qui durent et s’étendent
Jamais ne s’arrêtent
Tandis qu’en lieux discrets
Ceux-là se partagent les bénéfices
La mort des uns fait le profit des autres
Voilà la règle en monde immonde
L’indifférence des uns fait le profit des autres
Voilà le résultat du lavage des cerveaux
Orchestré par les autres
À leur seul profit
Toujours
*
« Livre, si tu te soucies de toucher les bons esprits, tel blanc-bec n’osera dire que tu manques de doigté. Mais si tu te remets en tête de tomber chez les idiots, tu verras en un clin d’oeil leur marteau rater son clou, bien qu’ils meurent d’envie de montrer leur beau génie. »
Miguel Cervantes, Don Quichotte
À part ça vous écrivez quoi ?
Mais comment écrire à part, j’aimerais que vous me l’expliquiez
Car
Moi je ne sais pas ce que ça veut dire
Les apparences sont trompeuses
Plus je me retire du monde
Et plus je me sens agressé par ses tragédies
D’autant plus agressé que
Vous ne semblez jamais atteints
Ni touchés
Comme si rien ne vous ébranlait
Comme si tout glissait
Sur l’imperméable de vos existences
Je marche parmi vous
Dans l’ombre si possible
Car rien ne m’autorise à marcher dans la lumière
Je contemple le cynisme qui marche
Cynisme qui me dit
« De toutes les façons on n’y changera rien »
Cynisme
On n’y change rien
Si on ne dit rien
Si on reste sur sa petite trajectoire
Son petit confort d’indifférence
Celui qui pousse à ne plus voter
Plus agir
Plus que se lamenter parfois
Et encore
Si peu
Non
Cynisme de faire comme si
Humains parmi les humains
Nous pourrions être ces monstres d’indifférence
Je rentre chez moi
Mes doigts s’agitent avec colère
Sur le clavier du jour
Dites-moi donc comment ne pas étouffer
Sous le couvercle du silence imposé
*
Sous le couvercle du silence
Les mots ne cessent de courir en tous sens
Leur mouvement suit le rythme des pensées
Parfois ils émergent de leur léthargie
Se demandent un peu ce qu’ils viennent faire
À la surface de la page
Aussitôt les faits dénoncés
Les hauts-cris poussés
Ils rentrent au bercail
En leur bergerie de vocabulaire
Se rendorment et se réfugient
Dans leurs rêves d’autre univers
C’est un jour pas comme les autres
Un jour d’attente sur le seuil
De mains fatiguées de lire
Dans le langage du corps
Les traces du silence imposé
Xavier Lainé
29 septembre 2023
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