lundi 9 octobre 2023

Patience & langueur des temps 16

 



XL-La femme assise, Karl-Jean Longuet (1922)




Que la pluie donc 

Nous lave de la souillure

Qu’elle ruisselle sur les rimmels

Qu’elle laisse transparaître le vrai

Derrière les masques hypocrites


Vivre n’a rien à voir avec 

Ce qu’on en fait

Ce genre de désert

Où l’humain est réduit

À avancer

Fantôme de lui-même


Que la pluie donc

Vienne nous laver de la souillure

Qu’elle liquéfie les avoirs 

Noie et emporte les fortunes

Mal fondées


Vivre ne rime à rien

Dès lors que chaque heure

Chaque jour

Est vaine bataille pour se nourrir

Pour se vêtir et s’abriter

De la pluie 

Justement

Qu’on aimerait voir tout emporter

De ces mauvais rêves fomentés

En des lieux d’un pouvoir usurpé


*


Les égarés

Les égarés hantent les rues

Ils voient bien le gouffre ouvert sous leurs pieds

Mais rien ne les empêche de s’y précipiter


Les égarés voient la gueule béante de l’ogre

Mais ils n’en retiennent que les lèvres aguicheuses

Qui s’avancent pour un baiser diabolique


Les égarés 

Les égarés n’entendent jamais le fond du discours

Ils n’en attendent d’ailleurs pas la fin

Pour en tirer ce qui va dans le sens de leurs désirs

Désirs de vengeance de préférence


Les égarés finissent par en vouloir

À qui refuse d’emprunter leur chemin

Au prétexte de lumières bien plus luisantes

Là où tout le monde ne va pas

Ils en veulent à qui a vu venir

Le monstre hideux derrière la main tendue


Les égarés sont d’autant plus nombreux

Que tout est fait pour entretenir la confusion

Pour brouiller les pistes

Et alimenter la fumée

Propre à tous les égarements


*


Or, bien sûr que parfois je m’égare, moi aussi, j’écris, je remplis ce tonneau des Danaïdes, inutile et prétentieux. Car c’est toujours prétentieux de prétendre accéder à l’art. On ne naît pas artiste, on ne cesse de le devenir.

Dans le silence de nos provinces soumises à de petits potentats locaux qui lorgnent sur Paris en aiguisant leurs dents pour mieux rayer les planchers de la bienveillance des plus grands qu’eux, écrire n’a pas beaucoup de sens. 

Ecrire encore et toujours en zone mortuaire, c’est passer sa vie à créer une oeuvre posthume qui se perdra, à coup sûrs, dans le monde ignorant d’une culture qui soigne d’abord les ego et se soucie comme d’une guigne de qui ne sait faire autrement que créer.

Alors on crée, certes, mais il ne faut rien attendre des structures étatiques locales qui ne sont que chambres d’enregistrement des mégalomanies rampantes de petits édiles sans envergures, formatés si possible à Science Po, parfoiss à l’ENA.

Ceux-là regardent de haut quiconque tente de se faire entendre et n’est pas reconnu par le petit milieu parisien qui grenouille parmi les éditeurs, eux-mêmes coulés dans le même moule, soutenus par des financiers qui n’ont de culture que celle du porte-feuille.

Pauvre pays qui du haut en bas et de bas en haut est vérolé de cette culture où tout s’achète et se vend, où le mièvre et le stupide pérore à longueur de médias vendus.

Pauvre pays où il vaut mieux, quand on écrit loin de la sphère autorisée des mercantiles parisiens, se faire à l’idée que toute production littéraire (ou pas : qui peut savoir ce qui relève ou non de la littérature ?) n’est que vaine et vaniteuse tentative de s’extraire à la gangue terreuse de l’ignorance provinciale.



Xavier Lainé

16 septembre 2023


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