Une esquisse de l’expérience entre corps et écriture
Quitter tes confins et t’aventurer au-delà.
Te laisser glisser le long des rampes de routes et d’autoroutes.
Douce fraîcheur matinale qui souffle sur les pins.
Un grand choeur de cigales accompagne mes méditations souterraines.
Que fais-je là et y suis-je à ma place.
Une bienveillance s’installe qui me pousse dans mes retranchements.
Parler du corps et de l’écriture, de ce qu’écrit le corps que l’écriture ne peut dire, sauf en usant la corde des métaphores.
Je ne sais pas dire, mes mains s’agitent qui se mettent à parler plus que moi.
Car ce qui vient c’est une histoire.
Vous avez raison de me pousser là : quelles histoires inracontables se tissent derrière chaque corps en souffrance ?
Comment la résilience des corps laisse son empreinte dans une manière particulière de marcher, de parler, d’écrire ?
C’est un mystère.
Il me faut sortir, pour tenter une élucidation, des sentiers battus où nos certitudes se terrent.
Je m’y accroche parfois comme à un radeau au milieu de la tempête pour ne pas perdre les pédales.
Car c’est folie de penser et sentir tout ce qui vient derrière deux mains au contact du corps de l’autre.
« Qu’est-ce que vous sentez ? »
« Est-ce moi qui sent quelque chose là, chez vous, ou qui projette quelque chose que je sens chez moi qui ne vous appartient pas, ou encore qui m’imprègne de ce quelque chose en vous qui crie ? »
Je ne sais pas, alors, je ne dis pas, je n’écris pas mais quelque chose s’écrit en moi qui est au-delà de la simple description d’un réel illusoire.
C’est vertigineux la nature du vivant.
C’est un inattendu, quelque chose qui survient dans un petit coin d’univers.
Quelque chose qui donne à l’univers vide son trop plein de sens.
Car le vivant se met illico en quête d’expliquer, surtout lorsqu’il prend forme humaine, le pourquoi du comment de toutes choses.
Il ne reste pas muet.
Il se met à créer, à laisser son empreinte sur la roche comme chaque instant de vie laisse la sienne dans le soma (pour ne pas réduire ce qui est visible à sa seule apparence).
Quelque chose est toujours plus que ce que je crois comprendre.
Je ne peux résumer d’aucune équation ce qui vient d’intuition dans la paume de mes mains.
Quelle histoire !
Quelles histoires ?
Mais peut-être j’ai tout faux.
Peut-être ce n’est pas par là qu’il me faut aller.
Quelle idée d’aller au-delà des techniques exigées au point de n’en avoir plus aucune ?
Les mots viennent qui ne disent apparemment rien de ce qui est, mais tout de ce qui pourrait se deviner mais pas se dire.
Ce qui vient de l’intérieur dans le mouvement d’écrire, tente d’approcher cette indicible complexité qu’est la vie dans son rapport d’un dedans et d’un dehors, d’un moi dans son « sac de peau » à d’autres qui ne cessent de me changer.
Pour ne pas sortir épuisé de l’épreuve, écrire et écrire encore.
Milliers de pages qui ne disent rien ou tout.
Chaque rencontre est une ligne sur une page où tout s’emmêle du vivant que je suis, perpétuellement modifié par les autres, par la couleur du ciel, par le chant des martinets ou des cigales.
Je suis et ne suis pas, je n’allonge pas dans le même lit le soir la même entité biologique ou physiologique, je n’allonge que la même identité.
Entre temps, dans le temps de mon écriture, tout à changé en moi, en toi, en vous.
Tout semble identique mais tout change.
Certains disent que c’est ça, vieillir : on se réveille toujours semblable et toujours différent et pour se rassurer en se cramponne au semblable.
Un souvenir vient dans un trait du visage qui évoque trop de douleur alors je le cache derrière barbe bien taillée qui dit autre chose de qui je suis.
Mais suis-je seulement, puisque mes mains ne savent décrypter qui vous êtes, seulement en avoir une approche imprécise ?
Le vivant, c’est comme la quadrature du cercle : on peut en approcher sans jamais l’atteindre.
Il déborde de partout, colonise toutes les pages.
Écrire serait tenter d’approcher une description précise de cet ectoplasme étrange que nous sommes.
Approcher une description précise de cette architecture mobile dont l’usage façonne les formes, en une boucle sans fin recommencée.
Mais chaque description ne serait encore une fois qu’une réduction de ce qui est.
Ce que fait la médecine est rassurant, au fond : à un symptôme correspond une cause que je traite par une technique.
Parfois ça marche, parfois non, parce que la vie est plus forte que toute explication rationnelle rassurante.
Alors je me laisse imprégner de subtiles pensées qui sont parfois impossibles à partager car les mots regardés comme mots ne disent rien à qui n’a pas vécu l’expérience.
L’intuition que la complexité de toutes choses ne peut être résumée en compréhensions purement scientifiques, à moins de ne vouloir rien résumer, tout assumer en surfant sur la vague d’une forme de folie qui nous fait marcher sur la crête entre trop vide et trop plein.
Cette voie du vide médian chère au tao.
Explorer les méandres du vide pour mieux apprécier la pression du plein.
Xavier Lainé
5-6 juillet 2020
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