jeudi 4 février 2021

Sourde colère 15 (Nouveaux états chroniques de poésie - Volume 12 - Tome 1)

 




On nous inocule, pour des fins d’enrichissement, des goûts et des désirs qui n’ont pas de racines dans notre vie physiologique profonde, mais qui résultent d’excitations psychiques ou sensorielles délibérément infligées. L’homme moderne s’enivre de dissipation. Abus de vitesse, abus de lumière, abus de toniques, de stupéfiants, d’excitants…

Paul Valéry, Le bilan de l’intelligence, éditions Allia, 2011


Car comment garder tête froide sous l’avalanche continue d’informations vendues comme marchandises.

Sous le roulement continu de ce harcèlement médiatique, ce que nous finissons par prendre pour intelligence n’est plus qu’art de focaliser l’attention sur sa personne.

Enivrés de notre propre reconnaissance, nous ne savons plus voir et encore moins regarder, nous ne savons plus entendre et encore moins écouter.

L’autre est cet individu étrange qui risque à tout moment de nous rejeter et nous tendre le miroir d’une précarité dont nous dénions l’existence.

Alors on fait le tri sélectif des nouvelles comme on procède avec nos ordures : les cartons d’un côté, les bouteilles de l’autre.

Tout occupés à trier nos déchets, nous ne pensons même plus à en remettre en cause l’existence.

Nous trouvons normal de payer des impôts sous forme de taxe d’ordure ménagère pour faire nous-mêmes le travail.

Occupés à comparer les prix de supermarchés en discount, nous ne pensons même pas à remettre en cause des rémunérations qui suffisent à peine à notre survie.

Que des migrants se noient, que des êtres comme nous meurent de froid, ils sont regardés comme couteau retourné dans la plaie de notre survie.

Demain, ça pourrait être nous.

Nous pourrions tendre sébile tremblante dans les rues d’un terrible ennui mercantile.


Xavier Lainé


13 janvier 2021


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