Je me suis arrêté au milieu du gué
Les galets de mots se faisaient toujours plus instables
Puis espacés
L’eau de la vie était particulièrement froide
Je me suis arrêté
Autour de moi n’étaient qu’étendues solitaires
Une brume montait qui obscurcissait la rive
Impossible de savoir ce que je faisais là
Isolé au milieu des flots qui montaient
Les mots prononcés se perdaient
Dans les rapides qui avalaient tout
Je me suis arrêté
J’aurais voulu que les mots prennent un autre envol
J’aurais voulu qu’ils trouvent port d’attache quelque part
Qu’ils quittent comme moi la rive éphémère
Où ils se fomentaient en silence
Je me suis arrêté
Mes mots plein la bouche
Qui ne trouvaient plus d’issue
Les pages ennuyeuses du passé
Dormaient dans les régions de la toile
Où l’araignée du contrôle guettait
Pour rester debout les mots doivent rester inédits
C’est une règle implacable en ce monde fini
*
Je reste là
Au milieu du gué
Combien de morts
Cloués au pilori des pouvoirs
Je ne sais
Mon pas chancelle au milieu des mots
On trouvera toujours du tort
À tel ou tel opposant
Rien ne justifiera jamais
Sa condamnation et sa mort mystérieuse
Dans les geôles d’Etats criminels
Je reste là
Au milieu du gué
Un homme est mort
Dont le seul tort fut de s’opposer
À la tyrannie d’un seul
Un autre croupit en prison
Sous les foudres
D’un Etat prétendu démocratique
Je reste là
Mots suspendus
Au-dessus du vide
Tandis que chacun vaque
À ses petites occupations
Masques posés sur visages d’indifférence
*
Debout au milieu du gué
Les souvenirs s’effacent
Dans la brume de l’autre rive
Il suffit d’un baiser
Et déjà ce n’est plus que vague réminiscence
Il suffit d’un baiser
Qui illumine le monde
Le voilà vite emporté
Dans les brumes d’une rive lointaine
Debout au milieu du gué
Les galets de mots
Roulent sous mes doigts malhabiles
Mes pieds vacillent
L’eau froide menace
D’emporter mes rêves
Vers un ailleurs toujours brumeux
Il suffit d’un baiser échangé
Pour que bascule la vie
Dans des rêves impossibles
Il faudrait d’un baiser
Savoir sauver de la noyade
Les perdus les paumés
Les errants en quête
D’un semblant d’avenir
Me voilà cloué au milieu du gué
À ne savoir aller de l’avant
À ne savoir rebrousser chemin
Perdu dans la mémoire des baisers oubliés
Xavier Lainé
17 février 2024
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