vendredi 2 août 2024

Chroniques d’un désastre annoncé 9

 





On joue et puis parfois on perd

Parfois on croit avoir gagné mais c’est pour mieux perdre mon enfant

On joue

On joue sa vie à la roulette d’une tradition politique

D’une façon de la pratiquer qui en fait une arène où s’épuisent les gladiateurs tandis que le peuple est dévoré par les lions du profit

Comme si les prises de parti ne nous concernaient que de loin

Puis on s’en retourne en bougonnant que rien ne changera jamais

« Tous pareils » qu’on psalmodie sans espoir en fermant le portail électrique qui nous protège des autres

Ces autres qu’on surveille de près croyant qu’ils vont venir voler maigre pitance

On se méfie de tout en royaume du désastre

Il n’est plus d’humanité qui trouve grâce aux yeux des post-humains l’oeil rivé sur les écrans plats d’une conscience évanouie

Au royaume du désastre on ne sait que mesurer l’ampleur des destructions en cours

Sournoisement mais sûrement le citoyen réduit au rôle ingrat de consommateur est livré seul aux grossiers appétits des « actionnaires »


On joue et puis on perd

On ne sait que perdre puisque on joue à l’aveuglette

Qu’on ne sait jamais d’où partira la balle

Ni quand


On joue et puis on perd

On reste médusé sur le bord d’un chemin dont nul ne sait plus où il pourrait nous mener

Désemparés on réagit au quart de tour dans l’émotion de l’instant

On ne voit rien du mur ni du précipice

Il s’en trouve même pour nous pousser dans le vide

Après coup on dit qu’on n’aurait pas dû mais le mal étant fait on se replie frileusement sur ses pénates


On joue et puis on perd

On jure qu’on ne nous y reprendra plus

Mais le blanc installé dans nos mémoires on remet ça

On multiplie même les bévues

On refuse d’ouvrir les yeux 

« Pas voir »

« Pas savoir »

« Pas dire »

Le sujet est intarissable en territoire perverti du désastre


*


« Faire littérature »

Littéralement commettre des ratures

Des bavures pour conjurer le désastre

Ne pas s’abaisser à « vendre » des mots si chèrement arrachés à la vie

Pas de marché à conclure pour celui qui écrit

Juste écrire parce que tu ne sais pas faire autrement

Dans le champ désastreux institué par le marché généralisé

Tu n’as rien à vendre


Tu tentes d’écrire 

C’est ce que tu sais faire de mieux

Ça ne te compromet pas

Tu t’installe dans le silence, volets tirés sur le désastre en cours

Et tu écris 

Tu laisses tes doigts courir sur le clavier

Qu’importe que l’écrit ait « valeur »

Il est là vibrant au rythme de ton âme qui n’en peut plus

De vivre en ce monde où chacun doit se compromettre avec les marchands


*


Toujours lorsque tu parles

Lorsque tu écris

Les gros mots sont lâchés


« Idéaliste »

« Utopiste »

« Rêveur »


Gros mots lâchés comme autant de signes du désastre en cours

Car au fond qu’est-ce qu’une vie

Qui ne laisse plus libre cours aux idées

Qui interdit toute utopie

Qui enferme les rêves derrière les murs d’un réel

D’un réel toujours plus intolérable

Toujours plus misérable

Toujours plus étriqué


Tu es là

Tu courbes le dos pour mieux atténuer l’effet 

De ces vindictes péremptoires


Parfois même tu finis par te taire

Par refuser de défendre la trace laissée sur les pages

Pour ne rien corrompre de cette droiture

Pour ne pas faiblir sous le poids désastreux

D’un monde toujours plus pesant sur les mêmes épaules


Tu te tais

Tu refuses d’apparaître en public

Avec tes écrits comme médaille qui te donnerait le droit de

Le droit de rouler des mécaniques 

Le droit de parler à la place de 

De faire comme les autres

De beaux et vains discours

Avec la vanité d’être celui qui écrit


Il faudrait paraître pour vendre

Payer pour paraître

Pour apparaître et être adulé

Adoubé sur la scène pitoyable 

Où s’étalent les fausses célébrités


Que t’importent l’avenir de tes mots

Ils n’auront de sens qu’à l’épreuve du temps


On n’est pas artiste ou écrivains

On ne cesse de chercher à le devenir


Parfois on meurt avant d’en avoir atteint l’ombre


*


Au risque d’être haï pour avoir tenu bon

N’avoir signé aucun compromis

Au risque de mourir un jour sans

Sans avoir vu le moindre de mes mots trouver sa place

Au risque


À ce risque là que je prends

Je demeure fidèle

Le problème n’est pas d’être haï

Mais que celui qui se livre à ce désastre de la haine

Sache pourquoi


Le reste ne vaut pas un mot dans la littérature



Xavier Lainé

9 juillet 2024


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