mardi 12 septembre 2023

Un été sur la Terre 20

 



XL-Un été sur la Terre



Il me faudrait sans doute

Demander moultes excuses

Pour la noirceur fréquente de mon propos


C’est inexcusable 

De voir le monde à travers sa surface

Ripolinée

Avec ses dents bien alignées

Avec son gant de velours

Avec son confort virtuel

Sa consommation aisée

C’est inexcusable


Inexcusable de crier avec la Terre

De crier avec l’eau

De crier avec la mer et la vie

Qui lentement

Inexorablement s’amenuise

Inexcusable


Inexcusable 

De prétendre faire poème

De cette vision tragique

D’accumuler les pages 

Dénonçant l’hypocrisie

L’inaction

L’indifférence

Inexcusable


Et pourtant

Il me faudrait vous demander

Passants

De bien vouloir m’excuser

Pour mes vers de triste circonstance


Mon été sur cette Terre

Me laisse atterré


Tellement atterré

De ne savoir pas aller là

Où une poignée d’humains 

Défendent la vie

Face aux bulldozers de la colonisation

Face aux grossiers appétits 

Des financiers en tous genre

Qui griffent la Terre

Arrachent les arbres

Assoiffent villes et campagnes

À leur seul profit


Tellement atterré

Réduit à demeurer dans l’ombre 

D’une tragédie qui s’annonce

Devant ma fenêtre encore ouverte

Aux heures matinales 

Où l’air est encore respirable


Mon été sur Terre

M’invite à crier avec elle

Merci de m’en excuser

Je sais que vous attendez autre chose

Du poème comme du poète


Mais

Comment me taire

Comment me


TERRE


????


*


J’allai au bord du lac

Un petit vent frais rendait l’ardeur solaire à peu près supportable

L’enfant plongeait avec délice dans les ondes

Je restai sur la grève, un numéro ancien de la revue Poésie 98 à la main

J’observais deux enfants plus loin

Ils parlaient une langue de l’Est

Leurs jeux intriguaient tout un troupeau de jeunes canards qui les entouraient

Je lisais tout ce que je pouvais sur la géo-poétique de Kenneth White

J’imaginais un pont avec la poétique du Tout-Monde d’Edouard Glissant

Le soleil gagnait en ardeur

L’enfant jouait au bord de l’eau

L’enfant me rejoignit

Nous marchâmes un moment

Un écureuil sautait de branches en branches

La foule du dimanche n’était pas encore vraiment arrivée

Incroyable préférence que de s’installer pour la journée au plus chaud

Sans doute une adaptation ultime à ce que certains nomment « réchauffement »

Adaptation ultime juste avant mise en ébullition

Juste avant cuisson à point

Juste avant de disparaître dans la cendre des déserts à venir.


*


Pas d’inquiétude

Le four est allumé

La cuisson va bon train


Pas d’ombre pour qui voudrait s’y assoir

Juste l’aridité du bitume et du béton


Pas un arbre en projet

Ma ville vit terrée


*


Tout l’art est d’en faire le moins possible

Pour ne pas fondre

On reste blotti à l’ombre des murs épais

Dans la pénombre des volets entrebâillés


Poursuivre sans bouger

Les lectures en retard

Relever les phrases éparpillées entre les pages

Se faire un bestiaire de pensées

Qui viendront peut-être

Alimenter une suite

Aux poèmes qui n’en sont pas


La pause qui s’imposait

Arrive à son terme

L’âge jouerait-il un rôle

Dans le peu d’empressement à m’y remettre


Il est si doux le temps qui s’étire

Le temps qui autorise de longs moments

À se laisser aller en tendres rêveries

Lire et relire jusqu’à fermeture des paupières

Et remettre ça dès leur ré-ouverture


Il est si doux ce temps qui s’étire

Qui rend l’été sur Terre un peu plus supportable

Juste un peu car c’est encore effort

De tourner les pages et ne pas se perdre

Au fil du texte



Xavier Lainé

20 août 2023


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