lundi 29 mars 2021

Prendre soin 29 (Nouveaux états chroniques de poésie - Volume 12 - Tome 2)

 




Il faut mettre un terme, un point final provisoire, sans avoir résolu la moindre des questions.

Questions que vous me posez, que je me pose à chacune de vos visites.

Je fais quoi de ce fardeau, de cette vie, de ces vies ?

Faut-il même que j’en fasse quelque chose ?

J’avais commencé par « prendre soin ».

Arrivé au terme de ce mois, je ne sais toujours rien.

Juste un chemin qui fut rempli de doutes et d’incertitudes.

Tandis que je vous regarde, soignant, articuler vos certitudes, je reste sur le bord de votre chemin, chargé de mes ignorances.

On ne sait jamais rien de ce qu’il faudrait faire avant de l’avoir fait.

L’acte de soin est, bien sur, chargé de connaissances, mais aussi de l’ignorance de ce qui, à cet instant précis, pourrait répondre à une attente.

Lent chemin qui m’a fait quitter le territoire des pratiques connues et répétées machinalement, si machinalement que l’usage de machines se répand tandis que, de plus en plus nombreux, affluent devant ma porte les insatisfaits.

Je n’ai pourtant qu’un tout petit espace d’humanité à ouvrir où parole et corps ne font plus qu’un et se rencontrent enfin.

J’ai vu tant d’humains divisés, écartelés entre leur douleur et les sentences péremptoires : « c’est dans votre tête », qu’on leur dit quand on ne sait plus.

Et moi, minuscule parmi les ignorants, je ne cesse de faire sentir que non, on peut avoir mal dans son corps, même si rien ne vient objectiver cette douleur. On peut aussi avoir mal dans sa tête et trainer un corps ignoré toute sa vie. On peut avoir mal par procuration dans une vie qui nous/me change à chaque détour de nos/mon vécu.

A chacune de mes mains posées sur vos souffrances, me voici le même mais tellement changé par les questions posées sans qu’elles soient dites, ou dites sans être posées.

Je vais sur ce chemin pour encore longtemps, soumis à la peine d’avoir préservé cette petite parcelle d’humanité, cette faible flamme qui fut, est et sera encore si difficile à entretenir dans un monde devenu « start-up » en proie aux plus grossiers appétits.

Je ne suis rien. Je n’ai pas eu la chance, de ce lieu de vie choisi, de pouvoir m’en aller, m’évader, suivre les formations universitaires qu’il m’aurait plu de suivre.

Certains m’en trouvent aigri : paix à leur âme.

Non pas aigri, mais meurtri et amer du mépris, du dédain pour l’autodidacte que je suis.

Si j’en juge par le nombre (puisqu’en ce monde il faut croire au nombre et à la vertu des chiffres), l’affluence qui m’angoisse car je ne peux répondre à toutes les demandes, ce chemin doit avoir pourtant une certaine vérité.

Vous me dites que tout ça n’est pas scientifiquement prouvé.

Vous me renvoyez à mon insuffisance méthodologique dont les facultés vous abreuvent.

Je reconnais, au seuil de ce mois, et alors que le printemps s’invite devant mes fenêtres, avoir fait de mes recherches une joyeux méli-mélo, presque impossible à démêler.

Il me faudra encore écrire, poser noir sur blanc ce long chemin entre mes deux mains et mon cerveau qui réfléchit.

Je suis sur le seuil d’un printemps que je voudrais savoir goûter, si les moyens ne me sont pas encore rognés pour le faire.

Toute une vie à servir, à écouter, à tenter l’attention, à tendre l’oreille et les sens pour ne jamais pouvoir avec allégresse chercher dans mes hautes montagnes la douceur d’un instant où poser mes pensées sur le bord du torrent, jeter mes mots dans les flots impétueux en me disant qu’ils pourraient servir, s’ils étaient couchés entre les pages de nombreux livres.

Ils ne le seront sans doute jamais. Je n’ai pas le mode d’emploi : juste celui de jeter, à l’abri de mon antre de mots, sur des pages à peine entrevues mais offertes aux regards de passage, mes maigres réflexions, m’autoriser à entrer dans l’arène.

C’est amer, cette sensation de vivre d’une profession qui n’a pas encore amorcé sa réflexion (mais nous sommes tellement isolé, dans le chacun pour soi d’un libéralisme mortifère que, sans doute, j’ignore que, quelque part, un ou des collègues ont avancé, eux aussi).

Réflexion nécessaire (les pandémies à venir risquent de nous en rappeler  l’urgence) pour tendre aux gens ce reflet dans le miroir du temps qui permet de ne pas se satisfaire de ce qu’on sait, et de s’interroger sur ce qu’on ne sait pas.


Xavier Lainé


28 février 2021


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