mardi 14 novembre 2023

Conjurer l’horreur 22

 




De quoi écrire pourrait être porteur 

De quoi si écrire n’est qu’écrire comme prêcher dans un désert

On aimerait

On aimerait entendre autre chose 

Autre chose que ces prises de parti sans discernement

Autre chose 

Mais quand autre chose est dit voire écrit

Quelle audience sinon rien


On aimerait

On aimerait qu’être palestinien ou soutenir les palestiniens ne soit pas immédiatement consacré « apologie du terrorisme »

On aimerait

On aimerait qu’il n’y ait pas dans les prises de position qu’engagement aux côtés de puissants, des colonisateurs, des dominants

Mais dans ce domaine comme dans la relation hommes/femmes on sait

On sait que la couardise pousse toujours à des solidarités malsaines


On finit par ne plus rien dire

Plus rien écrire

Pour ne pas être affublé de l’étiquette d’infamie


J’écoute et j’entends

La modération appelée par les « religieux » qui sera alignement sur l’un car l’autre est affilié à une « idéologie »

J’étouffe

Que d’aveuglement indigne de notre humanité

Quelle ignorance de cette tare héritée de l’affiliation au dogme

On a vu


On a vu à quoi conduisait l’interprétation dogmatique des philosophies comme des religions

On a vu vers quelles inquisitions

Quels pouvoirs totalitaires

Quels camps de concentrations

Quels goulags

Quel camps de « rééducation »

Allaient ces alignements prouvant l’ignorance et la perversité de ceux qui oeuvraient à cette barbarie


On voit aujourd’hui la nature des impasses

Car c’est une impasse

Écrire d’une plume libre est gage d’oeuvre posthume

Les voix qui s’élèvent pour condamner ce qui doit être condamné sans renvoyer dos à dos victimes et bourreaux sont condamnées au silence et à l’opprobre

« La seule voix que j’entends, » exprime Sayed Kashua, «  tant dans la bouche des politiques que des civils, c’est celle de la vengeance : or nous avons besoin de paroles rationnelles, sensées, éthiques, d’imaginer une autre stratégie que celle du sang. » 

Il faudrait que nous puissions écrire et être lus

Il faudrait 

Mais 

« Je ne sais pas combien de personnes lisent encore de la littérature… » ajoute-t-il. « Les réseaux sociaux semblent avoir bien plus d’influence aujourd’hui ! Comme si les livres, les romans, n’étaient bons que pour une fraction de la population, une élite académique. Mais pour que les choses changent vraiment, il faut du pouvoir politique, de l’argent et du soutien : pour cela, les écrivains ne peuvent pas grand-chose. »

Les écrivains ne peuvent que laisser leur maigre trace

Poser quelques petits cailloux blancs dans la forêt sombre qui ne cesse de gagner du terrain

Pour garder espoir, naïvement : « Cela ressemble à un mécanisme de survie : ne pas perdre totalement espoir, alors qu’il n’y a pourtant aucune raison d’en avoir. Les temps ont toujours été sombres, mais la nuit gagne de plus en plus de terrain. »

Sayed Kashua fait partie de ces personnes qui se font balises sur le chemin étroit de notre humanité à retrouver.


*


Adania Shibli

Vous ne connaissez peut-être pas

Adania Shibli


Vous ne la connaîtrez sans doute pas

Adania Shibli

Écrivaine palestinienne


Vous ne la connaîtrez sans doute pas

Elle ne fait la une des journaux

Qu’au moment de se voir refuser

La remise d’un prix

À la Foire du livre de Francfort


Elle n’a pas de chance

Vraiment

Adania Shibli

D’être auteure palestinienne

Elle cumule les malchances

Dans nos pays occidentaux

Qui ne jurent que par les colonies

Que par les dominations

Qui aiment les peuples soumis

Qui tuent la culture

Dès lors qu’elle proclame

Une « parole contraire »


Vous n’entendrez sans doute pas non plus

Parler des quelques écrivains rebelles

Qui pétitionnèrent en sa faveur

Puisque les médias ont pour ordre

De ne parler que d’Israël

Pourquoi pas en parler

Mais pourquoi pas non plus

Parler du triste sort d’être palestinienne

Et écrivaine en ces temps meurtris


Ici le bruit circule

Que la culture ne serait pas en odeur de sainteté

Dans les couloirs des édiles aux dents longues

Il me prend alors de vouloir inviter

Adania Shibli

Juste pour voir

Si les édiles aux dents longues

Qui obtiennent si facilement du représentant 

D’un Etat qui désormais n’est plus de droit

Mais de parti pris

Interviendront pour empêcher la rencontre



Xavier Lainé

22 octobre 2023


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