lundi 13 novembre 2023

Conjurer l’horreur 21

 




Humains

Le tragique accompagne nos pas

Nous allons nous heurtant

À nos propres frontières

Médisants et soumis

Aux règles 

Par nous imposées

À nous-mêmes


Que nous ayons la puissance

De notre propre destruction

Ne semble inquiéter

Que bien peu de monde

Ils semble que la tragédie

Nous soit sans cesse nécessaire

Pour prouver à nos dieux

Notre existence peu glorieuse


Humains

Le tragique accompagne nos pas

Nous édifions des frontières

Bâtissons murs

Érigeons barbelés

Nous exigeons cartes d’identité

À nos semblables en déroute

Sommes toujours prêts

Le doigt sur la gâchette

De nos armes funestes

À tirer sur qui nous ressemble

Devenu éternel suspect


En dépit des sombres calculs

Me serai-il permis

De dire que toute mort innocente

Est couteau planté

Au coeur même de notre humanité

Qu’à souffrances inégales

Qu’à puissances sans proportion

Un mort égale un mort

Mais que la vie est fort différente

Selon que vous êtes

Du côté des expulsés

De celui des conquérants


J’ai la Palestine au coeur

Non pour la dresser contre

Le pays qui l’opprime

Mais pour chercher poétiquement une issue

Qui soit digne d’un regain d’humanité

Chacun a droit de vivre

Sur cette terre assoiffée et sanglante

Qu’en un seul lieu

On puisse vivre sous la menace de plus puissant

Est une insulte à toute culture


*


Les menaces sur tout ce qui touche à la culture

Menaces sous-entendues

Ou menaces actées 

De la main de politiques néo-libéraux

En mal de pouvoir et de domination

Ne sont pas manoeuvres innocentes


On retrouve ce même brouet

À tous les étages du pays

Dans tous les pays dominés

Où la pensée unique se trouve de fait

Totalitaire


Pas innocente la difficulté

À exposer pensées complexes

Dès lors que la vision binaire

S’impose 

Vidant la notion même de complexité

De son sens 


C’est un grand plaisir des politiques

Éditocrates

Oligarques et autres agents

De la médiocratie libérale

De vider de leur sens

Les mots qui en avaient encore un


Laver les cerveaux de toute pensée contraire

S’il le faut en emprisonnant ceux qui demeurent en résistance

Ils ont quelques exercices pratiques en de multiples pays

Ils s’appuient sur l’expérience chinoise ou turque

Leur rêve serait de répandre partout 

Leur empire d’une pensée totalitaire

Ne souffrant aucune opposition


Dès lors il reste à ceux qui ne veulent pas se soumettre

À s’inventer les médias de libre parole

Nécessaires à diffuser autre chose

Que le brouet infâme et unilatéral

Servi trois fois par jour

Y compris à ceux qui n’ont pas faim

Comme d’ailleurs à ceux qui crèvent de famine

Et sont la preuve de la malfaisance

De ce monde où seule compte la grosseur d’une fortune

Et l’art de faire prendre des vessies pour des lanternes

Aux peuples sidérés devant la violence générée

Mais jamais vraiment combattue


Car pour combattre le mufle hideux

Il n’est comme remède que d’étendre l’accès à la culture

L’accès à la poésie, à la philosophie

Hors des sentiers tracés par une économie mortifère


Les paroles dissidentes existent

Elles arrivent parfois à percer dans le flot insane des pensées unilatérales


Selim Nassib, par exemple, écrit :


« Il faut se souvenir que c’est dans les moments de très grand choc, quand le fer est chauffé à blanc qu’on peut le battre. L’ébranlement généralisé provoqué par la guerre oblige tout le monde à réfléchir. »


« Il faut également se souvenir que si les massacres de civils ont endeuillé les deux côtés depuis le début des hostilités, l’oppression permanente, trois cent soixante-cinq jours par an, touche le seul peuple palestinien. »


« Qu’on le veuille ou non, le statu quo mortifère est aujourd’hui rompu, et chacun est obligé de choisir. Car pour qu’une paix juste et durable s’établisse enfin, il faudra que les uns renoncent à la destruction de l’«entité sioniste», les autres à l’occupation sans fin. Mais qui aura cette sagesse, cette intelligence, ce courage ? »


« Même acculés, les Israéliens argueront toujours qu’il n’existe pas d’interlocuteur crédible dans le camp d’en face – mais ce n’est pas vrai. Il y a par exemple Marwan Barghouti, un homme regardé par une grande partie de son peuple comme le Mandela palestinien, qui croupit depuis plus de vingt ans dans une prison israélienne. Avant son incarcération, il déclarait en 2002 au Washington Post qu’avec la fin de l’occupation, «la route sera tracée clairement : les voisins indépendants et égaux d’Israël et de Palestine pourront négocier un avenir pacifique en tissant des liens étroits, tant économiques que culturels».

Un rêve ? Mais ceux qui croient qu’Israël peut être effacé de la carte, ceux qui croient que les Palestiniens peuvent être occupés pour toujours, enfermés pour toujours, rêvent plus encore. Mais leur rêve est un cauchemar, notre cauchemar à tous. »


Et encore Ron Leshem :


« Les démocraties devront lutter pour survivre à l’ère de la mort de la vérité, où chacun peut choisir de ne pas croire ce que ses yeux voient, et chacun décide quoi croire, même si c’est un mensonge. L’ignorance est une ressource qui, comme toute ressource, peut être exploitée pour semer la discorde, nous embrouiller. Une génération qui conçoit une réalité binaire s’est développée. Il est nécessaire d’être contre l’occupation et de crier que l’oppression crée de la violence, sans toutefois blâmer les victimes lorsqu’un gouvernement de terroristes massacre des vieilles femmes, viole des jeunes filles, assassine des bébés. Des bébés. »


« Aussi naïf que cela puisse paraître, et face à l’horreur et au chagrin, nous devrions – nous devons – faire appel à la compassion et à l’empathie face à la monstruosité. Les conteurs, les artistes ne vendent en réalité rien d’autre que de l’empathie, même dans les moments les plus cruels. »


« Pour nous, la vie ne sera plus jamais la même. Nous ne sommes plus les personnes que nous étions. Dans des moments comme ceux-ci, il faut lutter pour ne pas se laisser emporter par un fleuve de haine. S’accrocher à une branche. Si nous lâchons prise, nous serons engloutis. »


Mais qui aura pris le temps de lire Selim Nassib et Ron Leshem ?


Il est temps de réhabiliter philosophie poésie et pensée comme piliers d’une humanité retrouvée.

La question qui se pose est de savoir si les vrais « intellectuels » (ceux qui ne rodent pas sans cesse avec leur ego dans les couloirs médiatiques), trouveront les outils pour être entendus, voire même écoutés.

Non qu’ils détiennent la moindre parcelle de vérité, mais parce que celle-ci, pour ne pas vider son nom de tout son sens, se doit d’ouvrir les débats.


Serions-nous encore humains si nous laissions les barbares tuer sous nos yeux des femmes et des enfants ?

Serait-il temps enfin d’arrêter le bras des assassins ?


*


Je lis

J’ouvre les yeux

Le réel me rattrape

Avec son lot de détresses


Je lis

J’ouvre les yeux

J’écoute

Les lancinantes complaintes


De quel camp montent les larmes

Quelle importance

Ce sont celles des innocents

Toujours eux

Qui prennent les coups

Tandis qu’ailleurs on émarge


Mon chant ne trouve plus le chemin

Il suit les sentiers perdus

D’un bonheur demeuré

À ras de rêves

Dont la paix est le refrain

Toujours le refrain


Je lis

J’ouvre les yeux

J’écoute



Xavier Lainé

21 octobre 2023


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