Magie des mots lancés au hasard
Quittant nos confins par la fenêtre des rêves
Nous voici voyageurs immobiles
Avec pour tout passeport
Le sauf-conduit du poème
Seuls les mots s’évadent.
Le reste, lentement se fait de plomb.
Depuis si longtemps laminés sur l’autel de la rentabilité.
Soignants certes, mais selon l’exercice, parfois plus affairiste que.
On commence par le début ?
Profession fantasmée aux alentours des années soixante dix du siècle dernier, voici qu’avec brutalité s’impose le couperet : qu’importe le travail et l’intérêt (ou la vocation), il fallait subir l’amputation de toute velléité de trouver en ces études l’aboutissement d’un rêve.
Il fallait déjà du nombre, du chiffre.
Il ne devait pas en sortir plus que ce que technocrates en leurs bureaux avaient décidé.
Ce fut premier chemin de révolte, et aussi de répression.
« On aurait pu, si vous aviez voulu, vous aider », à condition d’accepter le joug imposé comme corset sur le torse de l’avenir.
Il fallait redresser les risques de gibbosité et mettre au pas les candidats à la gloire médicale.
Il fallait couper tout ce qui dépassait le chiffre de nécessités calculées sans que nul n’y comprenne goutte.
C’est aussi en ces années que jaillirent hors de terre les vaisseaux magistraux d’une médecine hautement technologique.
Les CHU mirifiques construits à la hâte pour la gloire de la technique, avec parfois de drôles de couacs : par exemple des marches pour accéder au bloc opératoire découvertes au lendemain d’inauguration ministérielle, rendant impossible le travail des brancardiers.
Mais on était fier de ces vaisseaux amiraux dressés à la gloire d’un pouvoir médical triomphant.
Vous alliez voir ce que vous alliez voir : on allait vous soigner, que diable, et vous montrer quels miracles peut accomplir la technicité des élites soigneusement sélectionnées.
Les autres avaient fait un voir deux ans pour rien, et repartaient vers d’autres horizons, à moins d’être assez découragés pour chercher un travail au SMIC sur les zones industrielles.
Parfois donc, on reprenait d’autres études, en essayant d’oublier avoir bossé sans autre objectif que d’obtenir bonne place au concours !
On tente d’oublier, mais on n’oublie jamais.
C’était le grand chantier des années quatre-vingt : de partout on démolissait, on reconstruisait, on « modernisait ».
Et ça pouvait paraître justifié tant, parfois, les couloirs étaient restés bloqués au dix-neuvième siècle.
Le matin, on prenait les cartes ajourées des patients à soigner.
Hospitalisés, vous deveniez, le genou fenêtre 346.
Vous perdiez votre identité, n’étiez plus qu’un organe à réparer et nous, nous étions les mécaniciens de vos corps fatigués.
Qu’importaient vos vies, vos mises en péril dans des travaux plus ou moins insalubres.
Qu’importe la vie d’un homme au regard des profits à engendrer !
Ils n’ont pas attendu la fin des années quatre-vingt, après leur frayeur momentanée de 1981, pour commencer à mettre à mal toute la santé publique : dans le privé, ils préféraient verser des dividendes que permettre aux services d’acquérir des moyens supplémentaires.
Les choix du privé gagnaient lentement la sphère publique.
Xavier Lainé
15 avril 2020
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