Car en nos confins nous voici comme diasporas.
J’écrivais une théorie des confins ou en recherchait une.
C’est en théories de confins que nous allons.
Ici et là se manifestent les gestes de solidarité qui honorent notre espèce.
Gestes dont lentement mais sûrement on aurait voulu nous sevrer.
Ils ont pourtant jaillis, de jaune vêtus, aux rond-points situés aux confins de nos villes, puis en longues manifestations toutes réprimées dans le sang et les larmes.
Lentement de confins en confins cette diaspora des invisible, tant persuadée depuis plus de trente ans qu’elle était responsable de son malheur, a convergé vers les centres névralgiques où elle était fort peu attendue et appréciée.
Au point de faire trembler sur leurs bases les certitudes les mieux établies d’un libéralisme triomphant.
Qu’un virus vienne à point nommé favoriser la revanche des gouvernants, on aurait pu craindre rompue la solidarité des diasporas.
Or sont restés dehors les confins des confins, ceux qui ont déjà tout perdu au triste jeu de gagner sa vie en perdant son âme.
Regardez-les : ceux qui meurent dans la discrétion absolue, tandis que nous avons encore les moyens (mais jusqu’à quand ?) de payer un toit au-dessus de nos têtes.
Il n’y a plus personne ou presque pour recueillir les derniers soupirs des sans domicile fixe, des migrants.
Ils profitent même, les traîtres, de nous savoir rejetés dans les confins où leur bassesse nous range, pour en expulser sans autre forme de procès.
Ils montrent leur vrai visage : ici en faire le moins possible qui pourrait écorner leurs dividendes, plus loin rejeter les « riens » comme ils nous nomment, au risque de voir leurs fantômes hanter leurs consciences, s’ils en ont encore une.
Et nous, enfermés et soumis peinons à trouver les modes de contestation.
Nous voici donc en une diaspora de confins quasi clandestins, isolés devant nos pensées solitaires.
Qui se fait du souci pour ceux qui ont peur, qui demain, le confinement se poursuivant, verront leur immunité baisser sous le joug de leurs craintes ?
Qui se soucie des contraints à ne pas respecter les règles faute d’un toit, d’un abri, d’une main salvatrice ?
Qui se soucie de ceux laissés sans soin et qui demain seront contraints à l’urgence d’avoir trop attendu ?
Y aura-t-il quelqu’un encore pour tendre la main, lorsque les portes de nos prisons dorées s’ouvriront ?
Retournerons-nous à nos indifférences ?
Ou au contraire aurons-nous découvert combien plus que tout aspect économique, nos relations, nos mains tendues font plus pour la santé du monde que toutes les opérations financières réunies ?
Nous voici en diaspora de confins.
L’heure est venue de réfléchir à ce que nous sommes, et à nos actes.
On peut toujours s’insulter, se maudire, lorsque l’heure est venue des comptes à rendre, nous n’avons pas à être fiers.
« Une crise ne devient catastrophique », écrit Hanna Arendt, « que si nous y répondons par des idées toutes faites, c’est-à-dire par des préjugés. Non seulement une telle attitude rend la crise plus aigüe mais encore elle nous fait passer à côté de cette expérience de la réalité et de cette occasion de réfléchir qu’elle fournit. »
Depuis nos confins, avec la seule communication de nos pensées, indépendamment des « réseaux » de surveillance établis par ceux qui nous confinent, l’heure est à penser, avant de nous mettre à l’oeuvre.
Ce serait notre nouvelle manière de joindre nos théories de confins en infinis archipels riches de nos inventions, de nos trouvailles, de nos diversités.
« Vivre le monde : éprouver d’abord ton lieu, ses fragilités, ses énergies, ses intuitions, son pouvoir de changer, de demeurer. Ses politiques. Vivre le lieu : dire le monde, aussi bien. », proclame Edouard Glissant.
Xavier Lainé
1er avril 2020
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire