Les questions sont bien plus intéressantes que les réponses...
Elles fusent, diffusent, infusent, perfusent.
Elles tombent à chaque heure sans qu’embryon de réponse n’apparaisse à l’horizon confiné.
Hier bien puni : n’avais pas le droit, il paraît de faire du vélo avec les enfants, mais fait quand même, na ! Et, bien sûr, tombé, pour en éviter un qui me coupait la route ! Belle frayeur devant poignet tuméfié ! Mais la bête est solide !
Vivre confiné, c’est prendre le temps de répondre à quelques missives qui se soucient de nous.
Rares, très rares.
J’en envoie plus que ce que j’en reçois !
Mais quand même, répondre, c’est l’occasion de tenter l’esthétique de la lettre.
En voici trois, les seules d’ailleurs puisque depuis le début, trois amies se sont fait du souci (l’amitié est denrée rare en pays confiné, bien que confinement ne change pas grand chose en la matière).
Lettre 1
« Si en temps habituel je trouve assez génial d’habiter en ville, le confinement me fait regretter de ne pas être plus proche des montagnes et collines qui me sont aussi indispensable que l’air que je respire ou que la littérature qui me berce.
Donc, voilà que même le sommet de Toutes Aures semble trop loin pour nos attestations d’auto-surveillance volontaire (mais contrainte).
Je tente de maintenir mon cabinet ouvert pour celles et ceux qui en éprouvent le besoin au risque d’être taxé d’irresponsable par la majorité de ma profession et du corps médical. Mais mon éthique me dit que ce qui pourrait ne pas paraître urgent aujourd’hui pourrait bien l’être demain quand tout notre système de santé sortira épuisé de cette étrange période de dictature.
Le mérite de ce si joli petit virus est de permettre, tout en nous obligeant à en porter, de faire tomber beaucoup de masques.
Reste à espérer que nous sortions de cette longue et possible méditation plus conscients de ce que la vie courante nous imposait d’inutile et que nous trouvions dans ce confinement les outils de réflexion pour construire autre chose.
Bien sur, je lis et écris beaucoup, en ayant un regard avec ma compagne sur les travaux scolaires des enfants ( il en est un qui semble lui vouloir profiter de ce temps pour confirmer sa rupture avec le système scolaire).
Beaucoup de musiques aussi…
Et de longs moments de surveillance des enfants, devant nos garages de La Luquèce, un bouquin à la main… Et depuis hier soir, presque les larmes aux yeux d’entendre tous ces gens venus à leur balcon pour applaudir, taper sur des casseroles ou des couvercles : l’humain serait ici peut-être en train de reprendre ses droits.
Heureusement que je m’étais ruiné en ouvrages à lire : le confinement peut durer longtemps, nous n’aurons peut-être plus rien à bouffer, mais je pourrai continuer à lire !
Corona ne semble pas vouloir s’inviter en notre demeure, ce qui est déjà pas mal (ceci dit sans céder à la panique générale savamment orchestrée).
J’imagine que pour toi, comme pour nous, comme pour beaucoup, la situation financière est au bord du gouffre. Une invitation sans doute à inventer les manières de travailler à de nouvelles solidarités pour que l’humain qui brûle en nous puisse encore avoir droit de cité. »
Lettre 2
« Oui, j’ai bien compris comment ce confinement, vient troubler la plupart d’entre nous.
Je comptais trouver le temps de t’appeler, mais voilà, il me faut chaque jour tenter de gérer un cabinet vide, et donc des revenus absents, et donc me faire à l’idée que, peut-être, je ne pourrai plus, à la sortie, continuer…
Comme l’immense majorité des soignants, je suis de ceux qui tentent toujours contre vent et marées, de recevoir tout un chacun dans un esprit éthique. Comme l’immense majorité des soignants, je suis bien obligé de considérer qu’en trente années, un Etat assassin nous a placé en situation de plus en plus difficile et compliquée pour encore accomplir nos missions de santé publique.
Je ne sais à cette heure comment le système de santé se sortira de cette « crise », l’heure n’est pas à se lamenter ou à chercher des coupables mais à tenter d’être présent auprès de chacun pour que les dommages du confinement ne soient pas plus grave que le virus pour lequel on nous y maintient.
Restez donc bien chez vous, préservez vous. Nous verrons bien à la sortie ce qu’il sera possible ou pas de faire encore. »
Lettre 3 (en réponse indirecte à la lettre ouverte d’un infirmier au gouvernement)
« Un jour, nous découvrirons que derrière tout cela se cachaient d’ignobles calculs.
Car l’être qui s’est hissé avec son groupe à la tête de l’Etat est inhumain.
Il ne sait que calculer.
Ses prédécesseurs étaient du même moule. Ils ont sciemment mis à mal tout le système de santé.
Je m’entends encore dire dans les années 90, qu’à force de proclamer que nous avions le meilleur système de santé au monde, tout en le soumettant à des règles comptables incompatibles avec les missions de santé publique nous irions à la catastrophe.
Nous y sommes.
Voilà donc à peu près trente ans que je ne cesse de dire que le paiement à l’acte est une stupidité anti-économique et que tout le monde me dit que je raconte n’importe quoi, tout en « s’adaptant » par une multiplication des actes, au nom d’une « technicité scientifique » qui n’est que masque sur le visage d’un joug économique assassin.
Tu le sais : tu as suivi depuis assez longtemps la courbe descendante de mes comptes, pour savoir que pour faire face à la stagnation comptable des honoraires et revenus, pour beaucoup, il a fallu trouver des solutions en médecine de ville comme en milieu hospitalier (les cliniques privées sont à ranger dans le même panier) pour accroitre la « productivité » aux dépends de l’attention portée aux patients en tant qu’êtres vivants.
Je me rappelle dans les années 70 m’être révolté contre la disparition des personnes derrière des numéros dans les hôpitaux de l’AP à Paris.
Je me rappelle les difficultés à faire entendre, à la clinique des Carmes à Aiglun, que l’investissement visant à humaniser nos services devait passer avant la distribution des dividendes. J’en ai été remercié par une mise à pied de plusieurs mois et des menaces de licenciement. Par intégrité, je n’ai pas marché dans la combine : j’y ai laissé tout un pan de ma vie et ma famille de l’époque.
Depuis 1990, je n’ai cessé de défendre une éthique professionnelle et l’idée que nous recevons des personnes en souffrance et non seulement des pathologies. Combien de fois dans ma propre profession ai-je été traité d’idéaliste ?
Hélas, ce que je lis dans cette lettre ouverte, ce que nous vivons dans la fermeture imposée de nos cabinets sans même prévoir qu’il nous faut faire vivre des familles et qu’au passage, les patients laissés sans soins seront peut-être les urgences de demain, ne fait que confirmer l’inhumanité d’un système qui a un nom et des responsables.
Si nous ne mettons pas à profit le confinement dans lequel ils nous maintiennent pour réfléchir ensemble à ce qu’il convient de construire pour mettre un terme à leurs exactions, nous aurons une fois de plus loupé le coche.
Je ne sais si je pourrais sortir de cette période en maintenant mon activité conventionnelle, mise à mal par trente années de blocage des honoraires et d’indifférence de l’immense majorité de mes collègues aux nécessaires luttes à entreprendre pour sortir du piège. Je saurais bien trouver les actes de résilience qui me permettront de trouver des solutions. Je crains cependant de ne plus pouvoir, à l’issue, recevoir comme je l’ai fait jusqu’à présent, tous ceux qui sont les exclus, les « riens » comme l’a dit si élégamment celui qui ose encore se dire Président de la République… C’est vers eux que mes pensées vont car ils risquent fort d’être les victimes d’une médecine qui aura failli dans sa vocation à soigner et enseigner l’art de vivre en bonne santé.
Nous sommes nombreux à avoir gardé une haute idée de nos métiers. Au moins cette « crise » aura permis de nous dénombrer. La prochaine étape sera celle de demander des comptes aux assassins qui nous gouvernent.
Trois lettres, parfois, ça suffit à remonter dans l’estime du temps.
Ne pas sombrer dans la défaitisme alors que la vie ne demande qu’à s’exprimer.
Regardez donc : deux chevreuils en vadrouille dans la ville, deux hérissons en balade dans le jardin d’à côté, une chouette qui hulule à pleine gorge dans le parc d’en face, des mésanges qui se pépient messages d’amour dans la haie du voisin.
Regardez donc, comme, dès que l’homme reprend sa juste place, la nature reprend ses droits.
Pendant ce temps, les mêmes fanfaronnent et nous confinent un peu plus : « Quand les princes de l’exhibition et de l’ostentation font la roue et accaparent tout l’espace optique, les vraies valeurs passent inaperçues : la reconnaissance imméritée qui salue bruyamment l’imposteur a pour rançon l’injuste méconnaissance du créateur ; la reconnaissance tapageuse dont bénéficie l’imposteur relègue le créateur dans les oubliettes de la méconnaissance, de la désaffection et de l’anonymat. » (Vladimir Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien)
Xavier Lainé
9 avril 2020
Que pouvons-nous faire qd on nous refuse des prescriptions sous prétexte que vous n'avez pas le droit de travailler. C'est mon cas et je garde au fond de la gorge ces douleurs qui me confinent plus encore
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