Depuis trente ans la question est posée : à quoi bon la poésie, les poètes ?
Si les poètes passaient leur temps à écrire de la poésie et se battaient pour avoir leur juste place dans la littérature, se poserait-on encore la question ?
Si les poètes arrêtaient de ne se congratuler qu’entre eux et se contentaient d’écrire et de lire, laissant aux autres le soin de les nommer poètes dans la cité, y aurait-il encore question ?
A ce train d’enfer qui dure depuis les années 80, il se trouvera bien un technocrate qui mettra en place une formation universitaire ès-poésie.
On y apprendrait à devenir poète, c’est à dire, au sens strict du terme, à écrire de la belle et bonne poésie, de celle qui pourrait être éditée sans trop de risque mais avec un maximum de gain financier…
Alors, les poètes seraient contents, ils verraient leurs oeuvres en tête de gondole des « espaces culturels » de tous les supermarchés.
Ils pourraient sans vergogne vanter leurs oeuvres avec le soutien de leurs « mécènes » éditoriaux en des « marchés » de poésie florissants.
Ils seraient au pinacle de la littérature au même titre que les romans de gare sans un regard pour le nombre d’ouvrages voués au pilon.
Ils seraient les serviles représentants, au même titre que tous les plumitifs qui, à grand coup d’avances, écrivent ce que leur éditeur attend pour arrondir son chiffre d’affaire.
Quel bel avenir !
Depuis donc vingt ans, nous n’avons pas bougé.
Nous écrivons des textes qui ne trouvent leur place nulle part dans un système voué d’abord aux calculs financiers et non à l’élévation de l’esprit.
Certes, les « mécènes » tolèrent quelques paroles qui dénotent.
Certes, pour la façade on invite quelques poètes et autres contestataires en leurs essais, aux émission médiatiquement soumises.
L’objectif n’en est pas de cultiver l’esprit critique mais de faire croire en la démocratie à l’heure où, son euthanasie commencée en 1958 arrivant enfin à son but, autrement dit son absence, elle s’éteint sous les coups bien ajustés d’individus démocratiquement élus mais dont la « carrière » est soutenue par les mêmes « mécènes ».
Certes la royauté et le féodalisme en ont pris pour leur grade en 1789, mais voilà que les gagnants de la période, deux siècles et demi plus tard, rétablissent l’ordre ancien assis sur leurs monstrueux profits.
On demande alors au poète de faire bien dans le paysage.
Et le poète, en bon toutou bien raisonnable, sachant par voie universitaire le triste sort de son ancêtre François Villon, se range à la raison très XVIIIème des nouveaux maîtres et seigneurs.
Le poète moderne ne dira rien ou pas grand chose du sang que ses mécènes ont sur les mains.
Il regardera ailleurs quand d’autres poètes qui ont eu le malheur de naître du mauvais côté de ce beau monde, éternels exilés parmi les réfugiés pudiquement nommés migrants, jetés à la mer pour le plus grand profit des mécènes du nouveau monde, trouvera la mort par noyade préférable aux sordides calculs qui rendent son pays proprement invivable.
Le poète moderne devra se montrer mufle s’il ne veut pas écrire une belle oeuvre maudite et posthume.
Il ne cessera de psalmodier son mantra, « à quoi bon la poésie et les poètes ».
Ça amusera un bon coup la galerie des intellectuels en vogue.
Ça portera un coup de grâce à l’art d’être poète, c’est à dire de démasquer les impostures, de regarder derrière l’écran de fumée, le visage sordide de ce monde perdu, depuis qu’à grand coup de peurs, de répressions, de neuro-marketing, l’homme moderne a vu le jour, robotisé en son âme comme en sa conscience, mais dépourvu de ce qui faisait son charme imprévisible : son humanité.
Je ne saurai entrer en ce jeu de dupes : je me contente d’écrire et me moque éperdument qu’on parle ou non du poète que je ne revendique pas d’être.
Je suis comme je suis, de chair et d’os, de sang et de larmes.
Je pleure plus souvent qu’à mon tour d’observer, depuis mes pages qui se noircissent chaque jour un peu plus, en quels degrés d’ignominie nous tombons, inéluctablement guidés par des algorithmes et des écrans, indifférents aux êtres et aux humeurs bonnes ou mauvaises qui les font éructer parfois, comme lave d’un volcan, leur colère et leur dépit, puis rentrer sagement dans le rang, lorsqu’ils voient la misère les ronger de l’intérieur, les affamer de l’extérieur.
Je ne suis ni poète, ni soignant, ni je ne sais quel titre ou relation algorithmique qui me permettraient de briller en ce monde sans lumières.
Je suis ce que je suis, d’os et de chair, coeur battant à tout rompre devant la beauté, triste à en mourir à chaque mort sous les bombes de notre inhumanité.
J’observe depuis plus d’un demi siècle, cette lente dégringolade qui nous poussait autrefois, à échelle de mémoire d’homme, de revendiquer un monde plus humain en éradiquant celui qui nous oppressait.
Je parle au passé car désormais, ce ne sont plus que feux de pailles, embardées sans pensées qui chahutent un instant les dictateurs mous, puis retombent comme pitoyable soufflet.
J’observe qu’il s’agit de moins en moins d’en finir avec ce vieux monde mais de l’aménager, comme si les bénéficiaires allaient donner les clefs avec un sourire bienveillant.
Les poètes sont perdus depuis qu’ils ont cessés d’être les chantres du peuple et de ses affres.
Les poètes, à se poser la question de leur survie, achèvent le contournement et l’assassinat de l’âme humaine.
Preuve en est désormais devant nos villes sans figures, ces zones commerciales hideuses vouées au commerce sans esprit, les poètes qui étaient autrefois ceux qui chantaient les sacrifices des hommes pour cultiver leur grandeur, vont comme les autre remplir leur caddie de fadaises.
La poésie, pour ne pas mourir en ce monde, doit redevenir une arme souterraine, à moins d’admettre sa belle mort.
5 février 2020
Xavier Lainé
Hounch. Da ta gueule. Je te lis Xavier bien sûr et je te trôuve très fort dans ce rôle là.
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