Je sais, c'est difficile de prendre de la hauteur quand on te maintient dans les confins d'un monde dont on te refuse les clefs. Difficile de rester maître en sa demeure quand au dehors les vents mauvais des décisions totalitaires souffle à bas bruit sous le tonnerre des épidémies. Difficile de raisonner, de penser, de ne pas se laisser engloutir dans le flot insupportable des injonctions paradoxales. Mais, au fond, bien peu de différence avec l'ordinaire, sinon l'agitation en moins, donc l'impression d'être coupé du troupeau.
Car on nous l’a bien dit : il y a ceux qui s’en sortent, qui réussissent, et les riens, ceux qui vivent dans les confins d’un monde réservé aux premiers.
Pour qui a pu voir la série « Trepalium », sur Arte, il y a quelques temps, on s’en approche.
Nous confiner, c’est nous maintenir dans les marges, les mangroves, les haies tandis qu’en plein champ l’économique bat son plein d’effondrements.
C’est nous maintenir en un lieu qui nous est propre (au sens de ne pas être contaminé) pour que nous n’allions pas infester l’autre partie du monde, celle des décideurs, des « premiers de cordée ».
Tandis que nous nous disputons sur notre sort, râlons de ne plus avoir de revenus, nous traitons d’imbéciles à tout va dès lors que l’un seulement émet réflexions contraires à la parole divine, les plantes de plein champ, les belles plantes engraissées aux OGM de la bouffissure et de la suffisance financière préparent la régression à leur seul profit.
On s’extasie devant le ciel redevenu bleu, sans la moindre trace de passage des avions, mais on contraint, sans égard pour les risques de leur contamination, les ouvriers d’Airbus à travailler (on leur imposera même 60 heures hebdomadaires sans état d’âme).
On a le sens des symboles, en pays confiné !
On ne trouve plus de médecins, de dentistes, de kinésithérapeutes, en pays confiné. Ils ont tous du fermer pour ne pas répandre le virus, tandis qu’on invite les salariés de chez Renault à poursuivre leur travail malgré les contaminations et les morts, au nom de la relance de l’économie.
Mais on trouve formidable que, dans des villes enfin débarrassées de leur flot de véhicule, oiseaux et nature reprennent leurs droits dans une atmosphère respirable !
Nous voici devant ces archipels de contradictions propres aux temps troubles.
Du chaos finit toujours par jaillir une nouvelle organisation !
En nous rejetant aux confins, on nous invite à la distance.
Celle-ci ne peut que nous être salutaire, si nous savons ne pas plonger dans les frénésies pré-apocalyptique de l’ébranlement collectif.
Et construire la pensée en archipels chère à Edouard Glissant.
Des confins venaient les esclaves qui nous ont donné poésies, littératures, musiques renversantes et créolisation de nos vies.
Entre les confins, les fils se tendent qui nous relient.
Ce serait comme mains tendues de fenêtres à fenêtres, balcons à balcons.
Ce serait cet archipel de mots qui nous font encore vivants, en souffrance parfois, mais toujours et encore vibrant de ce souffle capable de plus grandes beautés, comme des plus viles horreurs.
Libre à nous de voguer d’archipels en archipels, construisant les solidarités immuables qui nous fondent.
Ne vivre dans aucun reproche d’être et de décision.
Juste amorcer la lente progression vers un autre jour, moins gris, plus radieux.
Observer des confins la nullité de ceux qui occupent le centre, la vanité sans fondement de leurs discours, et faire mûrir nos mots et solutions dans la pénombre de nos demeures.
J’ai besoin de définir ce que pourrait être ces confins où l’on m’enferme.
Je ne sais que constater qu’ils n’ont guère changé.
Entre avant et maintenant, la seule différence réside dans le fait que nous y soyons confinés.
Avant, on pouvait en sortir dans de belles manifestations.
Les confins sortaient de leur réserve et envahissaient brutalement tout l’espace.
Ceux qui pensaient en être les propriétaires se trouvaient donc confinés en leurs palais, leurs ministères, leurs aires de jeu médiatiques.
Comme si leur pouvoir tout à coup se trouvait isolé, incapable de continuer à contaminer les esprits devenus rebelles.
Le rien devenait tout, ou presque, tandis que ceux qui se pensaient tout, se mettaient à avoir peur.
Les digues étaient rompues et la peur, justement, avait changé de camp.
Que survienne le risque pandémique relève de la bonne aubaine pour rétablir la politique des confins.
Retour à la norme, à la rigueur d’une vie contrôlée, dans les marges d’un Etat confisqué.
Les confins sont lieu d’où nul ne sort s’il n’a fortune et relations.
Les confins sont zone de non droit, de violence habituelle, de survie assurée. On ne vit pas dans les confins, on s’y confine, on s’y calfeutre, on y cherche l’oubli, loin du monde télévisuel du loisir et de la fortune.
Des confins, nul ne parle, on vous dit seulement de vous y confiner.
Vous aurez beau soupirer, vous révolter, vomir sur les pelouses du centre qui vous sont interdites, les confins sont une patrie sans frontière, on y côtoie les exclus en tous genres, on y crée un monde qui vibre à l’opposé de l’autre.
Les confins sont tranchée et barbelés dans la guerre que les plus fortunés mènent aux plus déshérités.
“ – C’est une idée qui peut faire rire, mais la seule façon de lutter contre la peste, c’est l’honnêteté
– Qu’est-ce que c’est l’honnêteté ? dit Rambert, d’un air soudain sérieux.
– Je ne sais pas ce qu’elle est en général. Mais dans mon cas, je sais qu’elle consiste à faire mon métier”
La Peste, Albert Camus
Xavier Lainé
26 mars 2020
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