jeudi 19 mars 2020

Jour 5 : Je ne cesse de confiner.


Je confine, j’écris de mon confinement, mais guère plus que du temps où j’écrivais sans.
Bien sur j’écris de ce confinement en zone de confort dont je n’ai pas fini de payer la facture et qui à la sortie me laissera aux confins du monde de Leila Slimani par défaut de paiement.
Alors j’écris entre deux démarches pour ne pas finir en ces confins dont visiblement beaucoup se moquent.
J’écris de ce fragile équilibre parce que écrire est mon balancier d’équilibriste dans un monde dont je n’ai jamais eu le mode d’emploi pour « sauver ma peau », « me vendre », vivre avec la fierté de « l’oeuvre accomplie ».
J’écris de cette tour d’ivoire contrainte, j’observe le volcan qui couve à l’intérieur de mes enfants qui confinent entre allée, terrasse et intérieur et ne sont pas loin d’exploser.
J’écris de cette tour d’ivoire imposée et je croise Malika qui angoisse devant sa « Petite marmite » fermée pour cause de confinement.
Elle ne sait pas combien de ceux des confins n’auront aucun refuge une fois constaté sa fermeture.
Malika a raison : ils iront où, ceux des confins, si personne des bénévoles confinés ne peut plus leur tendre la main, leur offrir le couvert, l’amitié, le petit geste humain qui donne juste un peu chaud au ventre, nous fait humains, quoi ?

Alors je confine en pensant aux femmes seules avec leurs enfants délaissés par pères absents, confinés en leur mâle sécurité.
Je confine, avec pensée constante vers ceux qui confinent sur leurs cartons d’agonie, avec la faim au ventre et la peur ajoutée.
Je confine avec pensée émue, vers familles confinées en logements si étroits qu’au fil des jours il faudra bien que ça explose.
Je confine sans pouvoir imaginer le confinement de cet homme perdu qui ne verra plus son fils le temps du confinement et qui vient de perdre son emploi précaire sur des chantiers arrêtés faute d’avoir prévu les protections, faute de moyens, faute d’argent, il tourne entre ses quatre murs, plus seul que jamais : tiendra-t-il sans se remettre à boire pour oublier cette vie des confins qui n’attends pas le confinement pour être une vie de merde ?
Je confine et ça ne fait qu’ajouter à ma colère devant ce monde de gens hors sol, décidant pour les rejetés aux confins dont la parole est toujours confisquée par les gens comme moi, qui écrivent d’une tour d’ivoire des mots aux antipodes de leur vie confinée, virus ou pas.

Ceci n’est pas un « journal du confinement », c’est le confinement lui-même, celui adulé par le système : chacun pour soi se doit de se protéger, accessoirement pour protéger les autres. Mais quand ces « autres », ceux des confins du confinement, n’ont plus rien à protéger, on fait quoi ?

Xavier Lainé
20 mars 2020


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