mercredi 12 avril 2023

Une ode au retrait 23

 




« Le champ de bataille des guerres civiles est l’aspect du corps, et tout l’art de la guerre consiste en sa maltraitance⁠1. »


C’est de corps abîmés que je voudrais parler

De corps au bord d’un abîme de douleur

Qui cherchent toujours à se redresser

Qui inexorablement plient et parfois se rompent


Pas de mise en grève des mots

Il faut qu’ils portent la parole en souffrance

Les mots verrouillés dans les muscles noués

Les larmes trop longtemps contenues

Les yeux secs d’avoir trop souffert


Il faut que ça explose

Pour en finir avec le mépris

Avec les mots creux prononcés

Qui n’ont de vérité qu’un mauvais fard

En la bouche d’un être qui ne sait rien

Rien de la vie et du labeur

Rien de toutes ces larmes

Déposées entre les mains soignantes

De toutes les colères exposées

Perdantes à chaque coup porté

De mains de maître


La poésie ne suit pas le chemin de gloire

La mienne va au pas des manifestations 

Elle tient la banderole des mots acerbes

Elle va en longue banderole au devant

Là où l’ignoble déguisé en noir

Derrière son bouclier de cynisme

Fomente tous les mauvais coups

Sur un ton paternaliste


Ma poésie avance écoeurée

Tandis que d’autres en des salons feutrés

Se croyant parvenus au sommet de l’art

S’auto-congratulent et ne disent rien

De ce qu’un peuple endure


Car

Triste sire

Il fallait un peuple 

Pour que vous soyez hissé

Sur le trône d’ingratitude


C’est sur les épaules du peuple

Que vous tenez debout

Il n’est pas de mépris suprême

Que vous puissiez proférer

Sans ébranler le siège

Où votre cul morveux

Se prélasse d’indifférence


Certes on me dira

Qu’un printemps des poètes se doit

De parler d’autres frontières

Que celles qui isolent

Maîtres des gueux en barbelés de mépris


Mon printemps à moi a des accents rouges

Il manie le pavé à merveille

Il se souvient de celles et ceux

Qui furent au pied d’un mur

Fusillés sans sommation


Mon printemps est de mémoire

Il ne peut rien oublier

Devant le triste spectacle

De votre visage

Triste sire

Aussi imperméable à toute souffrance

Indifférent à la mort qui guette

Chacune et chacun bien avant

De pouvoir enfin s’étirer 

Pour une minute de plaisir

Une minute de plaisir qui ne viendra jamais

À qui se lève tôt et avance usé


(23 mars 2023 — 1 — 15h00)


Xavier Lainé




1 Alexis Jenni, L’art français de la guerre, éditions NRF Gallimard, 2011

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