mercredi 2 juin 2021

Aveugle et sourd

 




Je me suis arrêté au bord du monde.

Pieds ballants dans le vide des existences brisées, j’ai attendu.

J’ai attendu le train de l’espoir mais il avait du retard.

Sur le quai des amours, je les ai vu s’embrasser.

Je les ai vu s’embraser dans la grisaille du quotidien.


Je me suis arrêté sur le bord du monde.

J’ai regardé passer les wagons gris des amertumes.

J’ai écouté dans le silence des livres, la pluie tomber comme larmes.

Ça faisait des marques sur les visages en souffrance.

Petits regards tristes qui ne disaient mots sous le masque des habitudes.


Je me suis arrêté sur ce rebord du monde.

Mes compagnons de l’aube, mésanges, moineaux et merles me tiraient du sommeil.

J’ai ouvert ma fenêtre sur le fracas des souffleuses, des débroussailleuses.

Ainsi l’homme fait-il taire les plus fragiles symphonies.

Ainsi l’homme pressé, sur les quais de nulle part, creuse inlassablement sa propre tombe.


Je me suis arrêté où le monde prenait fin.

Je suis resté au sommet des collines enchantées.

Des hymnes d’amitié chuchotaient entre les herbes hautes.

Je ne sais plus qu’écrire ou dire sur la portée du silence.

J’y ai déposé mon obole de notes décousues et timides.


Je lisais, au pied de mon arbre favori, les mots désespérés de Cioran :

« Il ne faut pas s’astreindre à une oeuvre, il faut seulement dire quelque chose qui puisse murmurer à l’oreille d’un ivrogne ou d’un mourant. »

J’y ai ramassé mon bâton de marche et me suis avancé, aveugle et sourd.


Xavier Lainé


2 juin 2021


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