vendredi 23 juin 2023

Pousser les portes du devoir (Un chemin étroit avec Gide) 1

 



Vierge voilée de Giovanni Strazza (XIXème sicèle)

(Photographie glanée ici : Livingstone)


Qui s’aventure à lire Gide aujourd’hui ?

Aujourd’hui où l’écran bleuté dans la nuit noire compte plus que les pages tournées d’un doigt hésitant.


Qui s’aventure à lire, à creuser ce sillon profond commencé depuis si longtemps qu’on en oublie l’origine.

L’origine des questions, puis des réponses ouvrant sur d’autres questions.

Qui ?


On fait du bruit.

Les casseroles frappées en rythme sont le triste symbole de ce qui en est de ce monde.

Même l’amour s’y fracasse dans un bruit de tôles froissées.

On ne s’aime plus que par accident.

Quand on s’aime, c’est sous condition.


Les livres sont là.

Ils me donnent cette ivresse que la vie ne m’offre plus.

Je m’y plonge dans un vertige absolu.

Je me dis que moi aussi, j’aurais aimé écrire, ce que Gide a écrit.

Je reste devant la porte étroite de mes lectures.

Mes doigts sont gourds au matin d’un nouveau mois.

Ils ne savent pas quel chemin suivre dans un pays ravagé de délation, de déni, de silences impossibles d’où pourrait émerger le pépiement des mésanges dans le nid, au-dessus de la terrasse délaissée.

Délaissée faute de temps et de moyen pour en poursuivre l’entretien.

Il n’en restera que ruines dans les pas de ce temps.


Ruines et barreaux posés sur les yeux de qui cherche encore à clamer parole de liberté

Je reviens à Gide : « Que mon livre t’enseigne à t’intéresser plus à toi qu’à lui-même, — puis à tout le reste plus qu’à toi. »

Sans doute une bonne raison de l’oublier : quoi, un livre qui ne te laisserait pas là, tranquille sur ta chaise, à méditer sur le néant de ta vie ?

Une vie passée à courir sans trop savoir vers où ni pourquoi.

Une vie bousillée sur l’autel des profits en tous genres et oubliant l’humain de ta condition.


Je reviens à Gide et peut-être que le mois ne suffira pas à assouvir ma soif de chaque jour tenter d’approcher mon humanité.

Je regarderai la terre s’enflammer sous le triste joug des possédants, celui des dominateurs en tous genres qui corsètent vie et trépas.


Je flânerai, passant de Gide à Rancière, lisant mon journal dans le clapotis d’une fontaine.

Je jetterai sur la page les mots éparpillés sans trop savoir qu’en faire.

Il y aura les jours avec et les jours sans.

Bien obligé de constater qu’en pays meurtri, dépossédé de toute démocratie réelle, c’est-à-dire non délégataire, la deuxième catégorie des jours s’avère plus fréquente que la première.


Dégustant le plaisir de ma flânerie, j’imaginerai des jours qui s’écouleraient ainsi entre lecture, écriture, rêverie sans but.

Il ne leur manquerait plus que la douceur d’une tendresse partagée.

Une tendresse qui ne se heurte plus aux tabous d’une vie dont l’apparence est plus importante que le contenu.


Avez-vous observé cette propension à se satisfaire du paraître ?

À se conformer à des normes sociales, familiales dictées par la bonne bourgeoisie depuis deux siècles, en toute hypocrisie ?

Je plaiderai donc pour la fin de toute domination, patriarcale comme matriarcale.

La fin de toute possession, de toute propriété, de toute appropriation.


Car regardez où nous mène cet esprit : police des moeurs partout mais pas pour n’importe quoi.

Que les porcs du genre masculin se retrouvent sur les bancs des accusés, voilà le beau monde qui pousse ses cris d’orfraie.

Mais que femmes ou hommes revendiquent de vivre selon leurs propres conception de la vie, les mêmes s’en vont traîner dans la boue de leur histoire cette liberté outrageante à leurs yeux.

Ils en oublient le tableau de Delacroix qu’ils n’hésitent pas à brandir en symbole d’une liberté par ailleurs mise à mal.


Oublier ceux qui oublient, ceux qui crèvent l’écran de leur bouffissure, de leur suffisance, de leurs tragiques certitudes.

Les oublier eux et leur monde et s’en aller voguer sur des rives autrement plus réjouissantes, où sommeillent forces d’amour et de douceur.


Un mois commence : écrire est un privilège !

Lire encore plus en pays qui ne sait plus parcourir les pages du passé pour en tirer les leçons.



Xavier Lainé

1er juin 2023



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