dimanche 5 février 2023

Α-σώματος/In-corporel ? 18

 



XL-In-corporel-Fusain/2001


Peut-être en serai-je réduit à bougonner dans mon coin.

Tandis que vous irez entre amis manifester votre colère qui est aussi la mienne.

Tandis que vous serez à vous tenir chaud en des lieux capitaux à vos yeux, délaissant le reste de la terre aux rapaces et aux truands.


Puis reviendrez vous plaignant du peu de réactivité des « gens ».

Mais quand donc aurez-vous pris le temps d’aller à leur rencontre ?


Ils sont comme moi, les « gens », ils rêvent d’avoir du temps et de gagner assez pour se donner ce temps précieux.

Ils savent que vie passe vite à courir pour maigre pitance.

Ils savent, mais les journées passent si vite qu’ils en ont le tournis.

Qu’arrivé au soir d’un jour comme à celui d’une vie, il ne reste plus qu’à s’allonger pour dormir… ou mourir !


Ils savent que rien n’a fondamentalement changé sinon en pire depuis si longtemps.

Ils savent que les discours le plus beau ne ralentissent pas le rouleau compresseur des profits.

Ils vivent avec ce poids sur le dos.

Ça pèse tant que plus moyen de bouger sans réveiller la douleur.

Celle qui s’insinue, lancinante au mitan de l’existence.

Puis qui va son train de maux jusqu’à la vieillesse.

Ils se réveillent un matin avec le goût amer de n’avoir pas vraiment vécu.

De n’en avoir jamais eu le temps.

Que loisirs, vacances et retraites n’ont fait que s’éloigner en leur tournant le dos.


Mais demain vous irez entre amis manifester votre colère et vous aurez raison.

Vous laisserez vide les places en tant de villes, de quartiers et de villages que l’oeil fatigué, rivé sur des écrans qui ne diront rien de votre colère, les « gens » seront convaincus que rien ne pourra arriver qui changerait quelque chose à une vie d’ennui dans leur petite ville de province repliée sur son malheur.

Ils iront faire les courses qu’ils peuvent encore faire (tout est si cher désormais !), puis rentreront chez eux.

Comme moi ils bougonneront devant l’échec d’une vie.

Une vie traversée à grande vitesse.

Une vie qui s’éteint juste avant d’avoir obtenu le terme du contrat.


Les « gens », les épuisés d’une vie morose ne vous auront pas rejoint sur votre lieu de rassemblement.

Ils n’y auront pas pensé puisque rien ne les aura invité à s’imaginer brandissant pancartes clamant leur douleur.

Ils ne pensent plus que difficilement, les éclopés de la vie qui crèvent avant les quarante trois annuités.

Ils se contentent de mourir en silence, en maugréant un peu.

Mais qui pourrait entendre leur bougonnerie ?


Vous serez heureux entre amis.


(18 janvier 2023 — 1 — 5h50)


Xavier Lainé


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