mercredi 26 octobre 2022

Sans décrocher la lune 11

 



Photographie : XL-Dans la lune (Luke Jerram/Museum of the moon/Biennale Art & culture d'Aix en Provence 2022)




Je vous croise, insouciants.

Les images entrevues des ombres tombées, des visages ensanglantés, des corps mutilés se superposent.

Vingt et unième siècle.


Mon père ces jours-ci aurait eu quatre vingt douze ans.

Je le revois en 2000, maire de son village, planter un « arbre de la liberté ».

Je le revois avec toutes ses espérances en un monde meilleur.

Il croyait que les choses viendraient d’une pratique de la démocratie.

Il ne voyait rien venir, dans sa bulle de retraite obtenue à soixante ans, de l’âpre défaite qui se déchainerait sur les vingt premières années de ce siècle.

C’est long un siècle, surtout quand la vie s’y trouve combattue par l’âpreté au gain.


Mon père aurait eu quatre-vingt douze ans ces jours-ci.

Je n’en parle pas trop.

Il m’a toujours semblé tellement naïf devant la réalité du monde.

Il croyait qu’il suffisait de glisser un bulletin dans l’urne pour changer le monde.

Il croyait aux discours et ne lisait rien entre les lignes.

Il avait connu le pire : un temps de guerre qui berça son adolescence.

Il s’imaginait que rien ne pouvait recommencer de cette tragédie.

Mon père est parti.

Il avait cru en la jeunesse d’un président sans voir la perversité qui se dessinait sous le masque.

On lui aurait promis la lune qu’il aurait cru qu’elle lui serait offerte.

Le masque tombé, quelle relation entre sa rapide extinction et la montée du pire sous l’égide d’un jeune blanc-bec sans envergure sinon son cynisme.

Mon père aurait eu quatre-vingt douze ans ces jours-ci : il n’avait rien vu venir de cette honte qui souille notre mémoire chaque jour un peu plus.


Xavier Lainé


11 octobre 2022


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire