jeudi 2 septembre 2021

Plier mais ne pas rompre 2

 



Edward Munch - Le cri




Y aurait-il encore quelque chose à dire ?

Un homme vient qui ne dit rien.

Rien des misères endurées, rien des désespoirs qui coulent sur les joues.

Rien des yeux de chiens battus sous les masques de l’anonymat contraint.


Y aurait-il quelque chose à dire ?

Sinon, atterrés, observer ces gens qui vont comme si de rien n’était.

Ces gens qui plient, ne cessent de plier puis entreront demain.

Demain ils viendront me dire leur douleur.


Moi, je n’aurai pas dormi à l’idée de ne pouvoir répondre.

Au moins répondre présent à défaut de leur ouvrir les yeux.

« Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » disait le poète,

Le poète qui connut la prison pour avoir trop écrit.


Nos prisons sont infiniment plus subtiles.

Elles se déploient à l’intérieur de nous-mêmes.

Car nous avons trop longtemps consenti.

Ça ne nous touchait pas encore, alors nous n’avons rien dit.


C’était pourtant évident : plus nous avions techniques sophistiquées,

Plus gens comme monde allaient toujours plus mal.

Vint ce temps de virus-tue-l’amour, de virus-tue-la liberté.

Nous savions que ça viendrait : c’était une évidence d’échines rompues.


Nous avons continué comme si de rien n’était.

Comme fait l’homme venu parler pour ne rien dire.

Comme font les partisans de l’ordre au milieu du chaos.

Comme ont toujours fait les hommes par aveu de faiblesse.

Nous n’avons pas su voir les failles, les blessures ouvertes.

Nous n’avons pas su dire le malheur prévisible.


Xavier Lainé


3 septembre 2021


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire