jeudi 9 décembre 2021

Effeuiller les jours (Ou la vie sous contrainte) 10

 




C’est un jour où tu fulmines.

Un jour de patients qui « oublient » leur rendez-vous.

Un jour où tu te dis qu’à n’être plus respecté par personne tu ferais mieux de déserter.


C’est un jour où tu réalises que, pour avoir leur passe partout, les mêmes n’oublient pas de se faire vacciner.

Un jour où terrasses de café, théâtres et cinémas ont bien plus d’importance que ton travail de soignant déconsidéré depuis des lustres.


C’est un jour d’écoeurement où tu dresses le bilan de vingt mois d’obscurité.

Un jour, puisque personne des institutions n’a pensé une seconde que, peut-être, tu aurais quelque chose à dire, tu voudrais que nous nous y mettions tous.

Que nous déposions sur la table des désinformations constantes, notre vécu de « crise » largement alimentée en haut lieu, à des fins bien éloignées de la santé publique.


C’est un jour où tu ne te fais plus aucune illusion sur la collusion de la plupart de tes collègues avec le système qui tue toute humanité, saborde toutes libertés.

Presque cinquante ans que tu t’insurges contre ce « pouvoir en blouse blanche » qui infantilise le patient en les déshabillant, en lui attribuant un numéro d’ordre, en lui niant toute existence une fois allongé sur la table de la « science médicale ».


C’est donc un jour où, attendant patiente qui a « oublié » son rendez-vous (prendre soin est accessoire), tu te retournes et réalises que personne de ton entourage proche ni parmi tes patients forts nombreux n’est mort de ce virus surgi tu ne sais d’où dans nos vies déjà mises à mal.

Un jour où tu fais le décompte : plus de dix patients par jour (sauf samedi et dimanche) pendant vingt mois, huit qui furent contaminés, une seule hospitalisée vingt quatre heures. Tous s’en sont remis.


C’est un jour où tu regardes avec effroi l’usage politique fait d’une « crise » qui n’est pas la tienne : tu savais depuis longtemps qu’à confondre savoir et pouvoir un jour le mur de la vie serait juge de nos turpitudes.

Un jour où tu aurais aimé depuis longtemps que la tournure des choses te donne tort.

Un jour qu’au déni de toute réalité, le passe partout semble devoir devenir banal.

Hannah, au secours, le petit Klaus, les Eichman en costume trois pièces sont sortis de leurs tombes !


C’est un jour où tu voudrais dire à ceux qui ne demandent pas le passe partout pour un café en terrasse s’ils se rendent compte qu’ils contribuent sans le vouloir à la banalisation du pire.

Un jour où tu te prends à rêver de revenir en arrière, que toutes les professions de santé, pour une fois unies, auraient pu descendre dans la rue contre l’ignominie.

Mais tu ne fais que rêver.

Trop de compromis, trop d’intérêts jetant aux gémonies entraide et solidarité finissent pas tuer dans l’oeuf les principes mêmes de toute humanité.


Xavier Lainé


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